LES HOMMES NE SONT PAS DES YAOURTS !

Olivier Malnuit danone

Ou comment une petite contribution journalistique a pu faire basculer le jugement sur l’affaire Jeboycottedanone.com.

À l’époque des faits, je venais d’être embauché en CDI par Technikart pour m’occuper de la rubrique Culture Clash. Mon recrutement en janvier 2001, ainsi que celui de  Nicolas Santolaria, avait été rendu possible par la manne d’argent frais injectée par des investisseurs dans le site internet Technikart.com. Pour diriger la rédaction de ce qu’on appelait « le point com’ », Olivier Malnuit s’était installé dans une sorte de vitrine en verre au milieu de l’immense appartement du Passage du Cheval Blanc à la Bastille. Avec ses deux webmasters et les assistantes/journalistes Sophia et Sabrina, le site se développait joyeusement, les audiences progressaient. Je me souviens encore du jour où le site a franchi le million de pages vues par mois. Nous avions fêté l’évènement à la brasserie La Fabrique où Olivier avait fait ouvrir un compte.

C’est dans cette ambiance euphorique de start-up foutraque qu’est tombée fin mars 2001 la nouvelle de la fermeture des usines LU de Calais et d’Evry, imposée par le groupe Danone. Du jour au lendemain, Olivier, qui se comportait en patron à la tête de sa petite entreprise, s’est soudainement pris de passion pour les 270 ouvriers en grève dans l’usine Normande. Il était outré par le sort qui leur était réservé. Le fait qu’un des webmaster de Technilkart.com ait été proche du réseau Voltaire de Thierry Meyssan a sans doute contribué à attiser les braises de la colère d’Olivier. Mais surtout, depuis l’apparition d’internet, et de surcroit la création du site de Technikart, Olivier avait tout compris au pouvoir de ce nouveau média. Il souhaitait s’en servir pour défendre la cause des salariés gréviste laissés pour compte, et alerter l’opinion. À l’époque il n’y avait pas encore Facebook, ni Twitter… En 2001, Internet ne concernait que quelques entrepreneurs fils-à-papa, qui avaient découvert le net lors de stages aux Etats-Unis, et les courriels passaient toujours par AOL, Caramail ou club-internet (Gmail date de 2004  !). Alors quand le réd-chef d’un site d’info pop culture et sociétal émanant d’un magazine underground crée un site engagé dans un combat social, avec pour emblème une grosse tête émergeant d’une baignoire de yaourt et un logo détourné (le fameux Jeboycottedanone.com). Avec le slogan « les hommes ne sont pas des yaourts », les ouvriers licenciés ont refait parlé d’eux dans la presse et à la télé. Olivier avait gagné. Les petits LU n’étaient plus seul dans leur malheur.

Olivier Malnuit danone


Assignés en justice

Toutefois, la dénonciation pure et simple des agissements de Danone ne suffisait pas à Olivier, il fallait profiter du coup de projecteur pour élargir la lutte. Lors d’une des conférences de rédaction, j’ai proposé d’aller nous renseigner sur les conditions de travail des autres usines de pâtisserie, en particulier chez le grand concurrent BN, pour Biscuiterie Nantaise. Malnuit a dit Banco, et me voilà au téléphone avec les syndicats de BN pour connaitre leur ressenti. J’ai écrit un papier gorgé de citations de syndicalistes, expliquant que tous les ouvriers de biscuiteries étaient dans la même barquette, et se déclaraient très préoccupés par les restructurations en cours dans l’agro-alimentaire français.

« IL ÉTAIT OUTRÉ PAR LE SORT DES GRÉVISTES. »

La suite est bien racontée par Maître Pierrat. Avant la fin du mois d’Avril 2001, Olivier Malnuit et Thierry Meyssan ont été assignés en justice par Danone qui réclamait 2 millions de francs de préjudice, et imposait la fermeture du site Jeboycottedanone.com et .net. C’était un coup dur, mais tout de suite l’ami fidèle de la rédaction, Fréderic Beigbeder, a proposé son aide. L’auteur sortait à peine de son procès avec Danone après la publication de son livre 99 Francs – dans lequel il se moquait des spots de pub pour yaourts « Madone », auxquels il avait participé lorsqu’il travaillait pour l’agence Young et Rubicam. « Beig » comme on l’appelait dans les couloirs de la rédac, a donc proposé à Olivier son avocat Maître Emmanuel Pierrat et s’est engagé verser 1 million de francs sur les 2 millions réclamés par Danone, si Olivier perdait son procès. Pour beaucoup d’entre nous Beigbeder a cessé ce jour-là d’être uniquement un brillant trublion pour devenir un véritable grand seigneur.

Après le procès en appel remporté au bout de longs mois de combats difficiles en 2003, Olivier a eu la gentillesse de me remercier pour ma modeste contribution. Car mon article, en offrant un point de vue autre que celui des salariés licenciés, a permis à la défense de faire admettre que le site Jeboycottedanone.com était un site d’information et non pas uniquement un site parodique. Ironie du sort, notre camarade de lutte s’est éteint en décembre dernier au beau milieu du plus long conflit social de ces dernières décennies. RIP camarade, depuis Jeboycottedanone.com je ne trempe plus jamais de biscuits dans mon yaourt.


Par Alexandre Lazerges

 

ILS ONT DIT  À DANONE… NON

Poursuivi par la multinationale agroalimentaire pour avoir créé le site JeboycotteDanone en 2001, les combats menés avec son avocat Emmanuel Pierrat ont permis de changer la jurisprudence sur le droit des marques. Son conseil s’en souvient.

je boycotte danone jurisprudence malnuit
NO LOGO ?
La création graphique à l’origine du procès…

 

Lorsque Danone a attaqué Olivier, j’ai été chanceux au point d’établir avec ce trublion une relation de confiance, puis d’amitié. L’individu, que je connaissais déjà au fond assez peu, m’a d’ailleurs semblé d’emblée sympathique, lorsqu’il a débarqué avec son dossier dans lequel figurait le site « jeboycottedanone.com » et les clichés montrant hilare, prenant un bain de… yaourt de Danone.  La suite est connue : nous avons plaidé devant le TGI, puis en appel. Et gagnée contre tous les pronostiqueurs. Il me faut souligner que la force du droit des marques est telle que les dénonciateurs de cette emprise s’exposent juridiquement, par la mention ou la reproduction des signes litigieux.
Mais les conglomérats les plus impitoyables ont désormais pour habitude de se désigner par une de leurs marques phares, rendant juridiquement répréhensible toute évocation négative de leur nom.
C’est le cas du groupe BSN devenu Danone en 1994 et qui avait décidé, en 2001 de briser l’usine LU en supprimant près de 1.700 emplois. L’opinion publique s’était émue. Mais Olivier avait agi, en lançant le site jeboycottedanone.com et en parodiant les marques de ce groupe.
Et Danone l’avait alors menacé de procès, le propulsant à mon cabinet, puis l’avait aussitôt poursuivi en contrefaçon demandant des sanctions qui l’auraient rendu encore plus insolvable que Jérôme Kerviel. Encore une fois, en 2001, la parodie de marques, en théorie, n’est pas autorisée, pas même tolérée.
Avec Olivier, nous avons travaillé d’arrache-pied à sa défense. Et, en première instance, le  chemin de la victoire s’est dessiné : nos premiers juges, ont commencé par estimer que le nom de domaine conçu et déposé par Olivier ne portait pas atteinte aux droits de Danone.
Puis, ce fut le triomphe devant La cour d’appel, qui a validé le raisonnement du tribunal et a rejeté toutes les argumentations soulevées par la société Danone. Interrogés sur le détournement de logo, les magistrats ont considéré que le site avait un intérêt purement informationnel et non pas commercial. Ils rappellent que le droit des marques doit être strictement confiné au monde des affaires et à la sphère commerciale. En l’espèce l’usage de la liberté d’expression n’avait pas un tel intérêt. Le droit des marques ne pouvait donc pas être soulevé pour restreindre la liberté. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la jurisprudence jeboycottedanone.


Désobéissance civile

Dans notre foulée, les opposants de Total, visés par Greenpeace, puis Michelin, Areva ont bénéficié de la jurisprudence Malnuit/jeboycottedanone, considérant qu’une action syndicale, qui vise à attirer l’attention du public sur la politique sociale d’un employeur, peut prendre la forme d’une parodie de marque.
Cela a donc été une victoire fondatrice, qui est devenue la jurisprudence affirmant le droit pour des citoyens d’utiliser les marques pour  contester la politique sociale d’une entreprise…

Olivier, que j’ai aimé et défendu avec fierté, je t’embrasse fort.


Par Emmanuel Pierrat