Dieu, le cash, la mode et la gare d’Aulnay-sous-Bois… Pour le rappeur phénomène de 27 ans, si l’univers est aussi impitoyable, c’est parce que les fabricants d’Oscillococcinum dirigent la planète et qu’on paie trop de charges sociales ! À la veille de son Bercy, un entretien stupéfiant avec l’artiste français le plus sombre, génial, sans filtre et fascinant de ces 20 prochaines années.
Vald vient de fêter ses 27 ans, ce qui dans le cirque de la pop n’augure rien de bon – il fait d’ailleurs référence à Kurt Cobain sur un morceau de son nouvel album, l’excellent Ce monde est cruel. Notre homme va-t-il se fourrer un fusil de chasse dans la bouche ? Ce serait un peu tarte. Si la bienveillance et la solidarité ne sont en effet pas vraiment ce qui caractérise notre société, tout sourit à Vald en ce moment. Sauf qu’à lire ses paroles, le succès et la notoriété semblent l’angoisser au moins autant que l’échec et l’anonymat. L’extension du domaine de la lutte n’épargne personne, même pas les rappeurs. C’est d’ailleurs ce qui le distingue de la plupart de ses confrères : certes déconneur, Vald réfléchit (verbe inconnu d’une grande partie de la concurrence).
Dans son rapport aux femmes, par exemple, il n’est pas à ranger dans le même sac que les machistes ordinaires ; sa position serait plutôt celle d’un moraliste revenu de tout. Doué d’autodérision, il pontifie moins que Damso ou Booba. N’ayant pas un physique de minet, il est moins lisse que Roméo Elvis ou Nekfeu. Puisqu’on en est aux comparaisons, finissons-en ici avec un cliché qui lui colle encore aux baskets à cause de sa couleur de peau : Vald n’est pas le Eminem d’Aulnay-sous-Bois. Derrière ses morceaux à la Lil Wayne, c’est une sorte de Houellebecq hip-hop, Michel mis à la portée des ados – on laissera aux mauvaises langues le soin de dire que Houellebecq est un adolescent attardé.
Avec tout le bien qu’on écrit d’habitude dans ce magazine sur le rap français (et belge), on sera peut-être étonné de trouver Vald en couverture. Il y a trois ans, à l’occasion de la sortie de son album Agartha, nous lui avions déjà consacré un portrait de quatre pages. Pour les besoins de cet entretien, nous le retrouvons en fin de matinée dans les coulisses de l’Olympia, un jour pluvieux d’octobre. Il a un peu de temps avant ses balances – ce soir-là, il doit se produire au cours d’une soirée de charité au profit de la Fondation Abbé Pierre. En termes de look, s’il se laissait pousser une moustache et troquait le sportswear contre des braies, l’auteur de la chanson « Par Toutatis » ferait un Astérix crédible à l’écran.
Idole des jeunes oblige, Vald tourne tout en dérision. On sent toutefois que tout n’est pas rose dans sa vie. Il a des cernes, paraît fatigué. S’allume une première cigarette pour se calmer. Assis en face de nous, il nous déballe ses quatre vérités sur l’envers du statut de vedette, l’état de santé du rap, ainsi que quelques idées pour sauver la France… Votez Vald !
Il y a cinquante ans, Salvador Dalí disait de la gare de Perpignan qu’elle était le centre du monde. En ce moment, ne serait-ce pas plutôt la gare RER d’Aulnay-sous-Bois ?
Si on veut que ce soit le centre du monde, oui, ça l’est ! Il s’y passe beaucoup de choses pour l’art. Enfin, il s’en passe aussi énormément à Sevran, dans le 93, en Ile-de-France… Dans la France, en général, il se passe quelque chose. Dans le rap, bien sûr.
Est-ce que les gens s’en rendent compte ? Les têtes d’affiche du rap vendent très bien, tu t’apprêtes à jouer à Bercy, mais il y a toujours un mépris social, non ?
Qui nous méprise ? Les télés ? On s’en fout. Ça n’a pas d’influence sur notre commerce, les morceaux tournent, les salles se remplissent, les gros festivals nous acceptent désormais partout…
Les stars du rap semblent mieux traitées aux États- Unis.
C’est en train de changer. Si tu prends la mode par exemple, les marques de luxe se rapprochent de plus en plus des rappeurs français. Il y a des collaborations avec Louis Vuitton, Balmain, Off-White… On n’a pas encore de designer qui vienne du rap français, mais ça va venir. Ça arrive tout doucement. Il nous faudrait un Kanye West. Lui, c’est quelqu’un.
« JE N’AI AUCUN POUVOIR RÉEL, JE NE PEUX RIEN CHANGER… » – VALD
Si les élites se moquent des rappeurs, tu le leur rends bien dans Ce Monde est cruel…
Les élites, voilà des gens qui méprisent le rap, et c’est normal, on n’est pas de la même génération, ce sont des vieilles personnes, des vieux Rothschild et des vieux Rockefeller assis devant la porte. Ce n’est pas grave : c’est nous les nouveaux riches, nous les élites de demain.
Tu fais déjà partie de l’élite sociale, non ?
Hum… À la fois oui et carrément non. Bien sûr, j’ai plein de problèmes qui se sont effacés, je ne dois plus faire face à des difficultés que la majorité des gens ont. Mais je n’ai aucun pouvoir réel, je ne peux rien faire changer avec mon oseille. Avoir plein d’argent ne suffit pas, il faut atteindre plusieurs centaines de millions, être patron de très grosses entreprises qui influencent les politiques. Donne-moi dix ans, j’y serai !
Dans une ancienne chanson, tu disais ne pas vouloir entrer dans la jet-set. Pas comme JoeyStarr ?
Tu crois qu’il est dans l’élite, lui ? Bon, c’est juste un acteur… Les élites, c’est sombre, il faut penser aux francs-maçons, aux Illuminati, pas aux artistes. Total, Dassault, les lobbies pharmaceutiques, ça c’est l’élite. Oscillococcinum, voilà l’élite !
Dans ta génération, hors rap, tu ne vois personne émerger ?
Les nouveaux challengers, c’est Facebook, ces gens-là. Vu le pouvoir qu’ils prennent de plus en plus, on peut espérer pour les futures générations qu’ils soient bienveillants. On a envie de croire qu’ils réinventent le salariat, on est de tout cœur avec eux, eux ils peuvent faire bouger les lignes. La question est toujours la même : où va l’argent ? Moi, ça me fait mal de payer autant d’impôts. Je déclare tout en France – malheureusement pour moi, heureusement pour la France. Grâce à moi, il y a des autoroutes !
Et des ronds-points ?
Quelques trottoirs…
C’est quoi le délire d’avoir pris de l’affichage à New York, où tu es inconnu, pour lancer ton nouvel album ?
On avait acheté des grandes pubs en France, ça avait fait son petit effet, on a voulu aller voir ailleurs, c’était encore plus drôle – il y a eu Times Square, Shibuya et Dubaï. Après, le marketing ne m’intéresse pas plus que ça. Moi, je m’occupe du son.
La couleur jaune revient tout le temps dans ton disque. C’est à cause des gilets jaunes ? Du Ricard ?
C’est un album de gilet jaune, oui, et mes concerts sont des manifs ! (Rires.) Mais c’est aussi un album qui parle du shit. Le Ricard, par contre, j’accroche pas trop, j’en suis pas encore là…
Tes deux centres d’intérêt semblent être ton nouveau statut et le sort réservé à ceux que tu as laissés derrière toi à Aulnay-sous-Bois.
C’est une transition. Je me souviens de comment c’était avant. Là, je suis sauvé, et encore, peut-être juste pour quelques années. Mon entourage, lui, n’est pas sauvé. C’est aussi un album d’ermite, d’un mec enfermé tout seul chez lui. J’ai un grand salon chez moi dans le 92, il est mal branlé et il n’y a pas de fenêtre. C’est con, non ? J’aimerais avoir de l’horizon, maintenant. Je suffoque.
Il y a un côté Houellebecq chez toi. Tu l’as lu ?
Sur mon morceau « Retour », je samplais l’interview où il dit que ça le choque pas de brutaliser à chaque fois la rentrée littéraire, que c’est trop facile pour lui, pas d’effort à faire, qu’il assume sa domination avec calme. Bravo monsieur, quel homme ! Je n’ai jamais ouvert ses livres, mais j’ai vu quelques interviews, je sais qu’il est dans le buzz un max, il énerve les gens, il a l’air tendant comme garçon.
Pourquoi tu ne le lis pas ?
Parce que je ne lis personne. Je n’ai lu que Conversations avec Dieu de Neale Donald Walsch, et ça m’a suffi : pas besoin de lire d’autres livres !
C’est quoi ce truc, Conversations avec Dieu ?
Une série de trois livres dont on peut ne lire que le premier. C’est mon réalisateur, un grand sage, qui m’a mis sur la piste. Walsch est un auteur qui a une vie moyenne, et une crise de la page blanche. Il en a plein le cul et s’adresse à Dieu. Et Dieu lui répond. D’où le titre : Conversations avec Dieu. J’ai tout compris, et j’en ai encore des frissons.
Au fond, tu es aussi mystique que Françoise Hardy, dont les grands-parents étaient aulnaysiens…
Françoise qui ?
Françoise Hardy, la femme de Dutronc.
C’est qui, Dutronc ?
Jacques Dutronc !
Je ne connais pas.
Tu rigoles ? Et Serge Gainsbourg ?
Gainsbourg, si. « Le poinçonneur des Lilas ». Enfin, je le préfère quand il chante que quand il slamme…
Suite de l’interview à retrouver dans le Technikart N°236
Entretien Louis-Henri de La Rochefoucauld & Laurence Rémila
Photo Anaël Boulay
MUHA Marie Baillon
STYLISME Daphné Gibbons
MERCI L’Olympia