LE BON FILON DES FILMS BIDONS

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COMMENT REUSSIR DANS LE CINEMA

Scoop Technikart : Il existe une recette miracle pour cartonner en salles ! Amis producteurs, suivez bien nos conseils… et vous voilà en route pour le million d’entrées (minimum !). Merci qui ?
 

  • Soignez votre scénar’ (mais pas trop)

Gare aux clichés ! Le genre phare du cinéma français de la décennie, la comédie donc, sous l’odieux prétexte de son écrasante hégémonie, se voit scruté par des petits enfoirés qui n’en peuvent plus de voir tout le temps le même film. Le temps de l’introduction en flash-forward, du freeze frame avec bruitage de disque rayé et la voix-off qui balance un sale « ça, c’est moi », c’est terminé. Franck Gastambide a officiellement tué le procédé comme un sagouin dans Damien veut changer le monde début mars (qui, malgré son budget de 4,5 millions d’euros, n’a cumulé que 109 000 spectateurs et une recette, décevante vu les investissements, de 700 000 euros).
Exit aussi la comédie du mensonge, alias l’ossature d’une grosse centaine de comédies depuis 2015 : boy meets girl, boy se lance dans un gros mytho intenable pour séduire girl, boy se fait griller, déprime, reprend du poil de la bête, boy court dans la rue, fait une déclaration publique à girl pour la reconquérir. Franck Dubosc a tourné le Avengers : Endgame de la comédie du mensonge avec sa première réalisation Tout le monde debout l’an dernier, c’est pareil, ça dégage (vous aurez du mal à faire mieux que ses 2,3 millions d’entrées pour un budget de 10 millions d’euros).
Enfin, pour le portrait de l’artiste en loser, seul Edouard Baer conserve le droit d’exercer. Si la comédie de gauche est une impasse, son réal’ sur La Lutte des classes Michel Leclerc arrive à peu près à en faire avec succès : cette comédie sociale, pour laquelle Baer partage l’affiche avec Leïla Bekhti, se révèle un long-seller, attirant 305 000 en quelques semaines…
Résignez-vous, assumez, bordel : la comédie française est à l’image du pays, de droite plus ou moins dure selon sa dernière fiche d’imposition.
 

  • La promo, la promo, la promo

En cas de polémique sur une réplique, une scène, le sujet du film ou un tweet pro 11 septembre écrit par l’acteur principal quand il avait 12 ans, contentez-vous d’un communiqué laconique sous peine de gros effet Streisand – Romain Lévy (suite à la sortie de la bande-annonce de Gangsterdam, jugée misogyne, le film n’a pas réussi à attirer plus de 370 000 spectateurs) peut en témoigner.
 

  • Plus on est de fous…

Risqué mais plus que payant en cas de succès, le cinéma de bande, terrain de chasse de Franck Gastambide, Kev Adams et surtout de la bande à Fifi, alias Philippe Lacheau, Tarek Boudali et Reem Kherici – un stage de deux ans sur Canal + ou M6 est malheureusement requis
 

  • Allez faire un tour en région

Dans les catégories tangentes, le régionalisme peut faire recette, sur le fantasmatique business model de Dany Boon, avec sortie avancée dans le territoire visé, et un essaimage des autres écrans sur le reste du parc français. Mais pour une Ch’tite famille (27,8 millions d’euros de budget pour 5,6 millions d’entrées), combien de Mission Pays Basque (4 millions d’euros pour 146 000 entrées pour) ? Je pose la question.
 

  • Castez malin !

Il s’agit du produit d’appel majeur de votre produit, ne le foirez pas.
Petite astuce imparable, choyez vos seconds rôles, le landernau comique français en regorge. Qui d’un Jonathan Cohen en dragueur hâbleur, d’une Camille Chamoux en copine sympa dépassée par les événements, d’un Vincent Macaigne en artiste dépressif, d’une Alison Wheeler en ingénue désarmante. Oser le contre-emploi, ça paie toujours : Vimala Pons sans une once de masculinité, Benjamin Lavernhe sympathique, Joséphine de Meaux calme, Gringe avec une diction correcte.
Pour le premier rôle, tapez dans la valeur sûre : Camille Cottin ou Adèle Haenel pour vos héroïnes brusquées par la vie mais pas trop non plus, Pio Marmaï, François Civil ou Félix Moati en jeunes premiers rêveurs. Attention : la tentation des stars du web est un mirage. Le film Pas très Normales Activités de Norman n’avait fait, en 2013, que 176 000 entrées.
Une fois installé avec un premier long remarqué, à bas la pudeur, débauchez dans la tranche d’âge supérieure, puis montez encore d’un cran au projet suivant pour vous garantir quelques centaines de milliers d’entrées, vieillissement du public oblige. Sans jamais oublier ce paradoxe du 7e art hexagonal : le sex-appeal ne connaît aucune limite. Dans le sidérant Garde alternée, Didier Bourdon est un sex-symbol. Réfléchissez bien à ce que vous venez de lire…
Plus technique car tributaire d’un sens du réseau et du copinage de haute volée, le « ensemble cast » d’une demie-douzaine de têtes d’affiche, si possible placé dans une position de fragilité – précarité sociale, sociétale, ou le grand classique indémodable de la comédie française, la plongée d’un corps étranger dans un environnement inconnu et a priori hostile.
Encore plus technique car impliquant une absence irréparable de scrupule, le caméo de Cyril Hanouna. Avide d’apparaître n’importe où, dans Pattaya (près de 2 millions d’entrées quand même) comme dans Les Déguns (474 000 entrées pour les Youtubeurs !), l’animateur vous assurera une promotion télévisuelle de tous les diables.
Seule règle immuable du cinéma français du XXIe siècle : cassez la tirelire et offrez-vous Christian Clavier, le box-office suivra (grâce à Clavier et le pitch facile-à-résumer et gentiment politiquement incorrect, les deux volets de Qu’est-Ce Qu’on A Fait Au Bon Dieu ? de Philippe de Chauveron ont réunis plus de 20 millions de spectateurs). Le prochain à espérer bénéficier de « l’effet Clavier » ? Arnaud Lemort. Le réal’ de L’amour c’est mieux à deux (demi-succès) et de Dépression et des potes (demi-flop) compte sur la présence de Clavier, mais aussi de Mathilde Seigner et de JoeyStarr, à l’affiche d’Ibiza, en salle cet été, pour franchir le cap du million d’entrées…
 

  • N’oubliez pas la banlieue

Hors du centre-ville, le jeune (et le moins jeune) habitué de multiplexes se déplace uniquement pour les grosses prods américaines ou les comédies françaises les plus balourdes…
 

  • Ni les vieux…

En 2016, Adopte un veuf (truc sympathique avec André Dussolier et Bérengère Krief) a attiré davantage de spectateurs dans les salles que La Reine des neiges…
 

  • Choisissez bien votre budget

En dessous du million d’euro : implique d’ores et déjà un certain talent pour manager une équipe et une grosse dose d’assurance et/ou de préparation. Dans tous les cas, ça fournira du joli storytelling à l’attaché(e) de presse et aux critiques.
Entre 1 et 5 millions : bienvenue dans le ventre mou de l’industrie.
Entre 5 et 10 millions : sécurisez le casting, personne ne viendra vous emmerder.
Au-dessus de 15 millions d’euros : non mais et puis quoi encore, vous voulez attirer l’attention de Mediapart ou quoi ???
Au dessus de 20 millions d’euros : ah tiens, Thomas Langmann est de retour.
 

  • Foirez pas (trop) votre réal’

Fonctionnelle, sans éclat, du champ / contrechamp de base dans les dialogues. Pour rappel, le summum de l’audace en comédie française circa 2019, c’est Nicky Larson de Philippe Lacheau et sa scène de baston en vue subjective. Et le loustic a attendu son quatrième film avant de prendre la confiance. À la limite, une direction artistique soignée sera acceptée, mais uniquement pour laver l’affront des Visiteurs 3 (véritable cas d’école avec une première semaine à 1,2 millions d’entrées, un bouche à oreille désastreux, une critique encore plus meurtrière, et un résultat navrant de seulement 2,2 millions d’entrées après 7 semaines d’exploitation).
 

La seule vraie règle, c’est qu’il n’y a pas de règle…

 

Par François Cau