LA TENTATION DUBAÏ

marie s'exfiltre dubai

Dans un monde dématérialisé, il existe encore une ville fière de ses signes extérieurs d’extrême-richesse. Décryptage avec la réalisatrice du corrosif docu Marie S’Infiltre à Dubaï. 

Ta découverte de Dubaï date de quand ?
Marie S’Infiltre : La première fois, j’y suis allée pour faire le clip de ma chanson « Dubaï ». C’était l’an dernier. On n’était restés que quatre nuits, et j’avais commencé à comprendre l’envers du décor à ce moment-là. Je me suis dit qu’il fallait y retourner pour faire quelque chose de plus fort. 

Tu y es donc retournée en début d’année pour y filmer les trois épisodes de Marie S’Infiltre à Dubaï. 
J’y suis restée huit nuits. Tout s’est fait en caméra cachée. Même si c’est assez difficile de parler aux gens, parce qu’ils sont très repliés sur eux-même et n’ont pas l’habitude d’être abordés. 

Ce que t’en pensais avant de t’y rendre ?
J’avais une fascination pour Dubaï, pour son côté luxueux – un luxe qui rassure, en fait. Notamment dans la période actuelle où on est tous un peu désespérés, il y a quelque chose d’assez jouissif à aller là-bas en sachant qu’on va pouvoir consommer, et ne faire que ça. J’étais très attirée par ce truc où tout le monde me disait « je pars à Dubai »… Donc naïvement, j’avais fait une petite chanson sur cet El Dorado, qui attire nos instincts les plus vils. 

Et en faisant ton clip, tu découvres un autre Dubaï. 
Je me suis rendue compte qu’il y avait des aspects beaucoup plus sordides… qui pouvaient révéler quelque chose d’assez comique, avec toutes ces âmes perdues en fuite dans un lieu construit comme une sorte de divertissement totalement pur. 

« Pur » grâce au côté premier degré de la ville ?
Oui, parce que là-bas, on est dans une mise en scène permanente de sa propre vie : chacun y joue un rôle et le joue à la perfection, sans jamais le quitter. D’ailleurs, le troisième épisode porte là-dessus : « le Dubaï Show » reprend les codes du Truman Show, avec une histoire de grande fiction dans le réel. 

Tu es tentée de t’installer là-bas pour faire du business ? 
Là-bas, on se rend compte à quel point t’inventer une vie en permanence te fait vivre la vie que tu t’inventes. Et donc, sur place, il y a une espèce de dynamisme fort, de tous ces gens qui croient en leurs rêves. Même si ça ne reste que des rêves, ils les construisent en permanence. C’est quelque chose de vraiment positif dans cette ville, d’un point de vue individualiste : tout le monde croit en ses rêves, et chacun a une très haute opinion de soi-même. Même s’ils sont particulièrement malheureux parce qu’il y a toujours plus riche que soi à Dubaï.

C’est vraiment facile d’y gagner de l’argent ? 
Ce n’est peut-être pas aussi facile d’en gagner que ça, mais quand bien même : à partir du moment où tout le monde dit « c’est facile », ça crée une facilité. La fiction devient petit à petit réalité. C’est ce que tous ces gens viennent y chercher. 

Chacun(e) de tes interviewé(e)s dit y faire « du business », sans jamais préciser la nature de celui-ci… 
C’est extrêmement opaque, il y a des sociétés dans tous les sens, tout le monde dit être entrepreneur. Il ne faut pas non plus se méprendre, c’est quand même le temple de la voyoucratie et de toutes les magouilles. 

Le bon côté ?
Chaque personne se dit qu’il va pouvoir mieux s’en sortir qu’ailleurs. Et je pense que là-dessus, ça regroupe une vraie réalité.

Es-tu devenue politisée depuis tes séjours là-bas ? 
C’est vrai qu’en y découvrant les camps de travailleurs, privés de leurs papiers, on en ressort choqué. Ce sont des problématiques humanistes, ça recentre. Face à des choses aussi caricaturales, l’indignation jaillit très rapidement. 

Par le refus de ces Français de payer leurs impôts ici (tout en se faisant soigner en France) ?
Oui. On en revient en se disant que la France, c’est quand même un très beau pays. Savoir que des Français l’utilisent pour ce qu’elle apporte d’un point de vue social, tout en refusant d’y participer fiscalement, c’est dommage. 

Tu t’es frottée aux influenceuses installées là-bas… 
Ce que j’ai remarqué, chez les influenceuses et influenceurs, c’est une profonde sympathie, avec quelque chose d’assez humble dans leur comportement… S’ils gagnent énormément d’argent, c’est simplement parce que la télé-réalité et Instagram sont aujourd’hui la nouvelle pub. Du coup, sur leurs stories Instagram, ce n’est pas rare de voir dix voitures de malade, deux jets privés… C’est un train de vie exceptionnel au XXIème siècle. 

Tu y as vu des grosses liasses de billets ?
Il y a du cash qui circule, oui. Si tu veux une anecdote marrante, nous on avait du faux cash pour faire le sketch, donc on avait des liasses de faux billets de dollars qui traînaient partout. On les laissait n’importe où, on ne se rendait pas compte, c’était des accessoires de tournage qui traînaient au milieu des perruques et des machins. Et un jour, l’hôtel nous appelle en trombe en nous disant qu’ils avaient rangé nos sous dans notre coffre, ils nous avaient envoyé quatre personnes de la sécurité pour récupérer le coffre, enfin… 

Vous avez payé pour loger là-bas ? Ou vous vous êtes fait inviter par l’Office du tourisme ? 
Si seulement ! Mais non, on a tout payé avec notre boîte de prod. D’ailleurs, on a dû faire du camping à Dubaï, on mangeait sur les aires d’autoroute… 

Et on peut faire du camping à Dubaï ?!
Les hôtels ne sont pas si chers que ça, c’est un peu un Vegas du loisir. Après, les restaurants, on ne peut pas vraiment les éviter. Il n’y a pas de petits commerces. Soit tu vas au restaurant et tu t’installes, soit tu ne manges pas. Donc on mangeait des fruits et des légumes qu’on achetait… comme des pauvres.

Vous produisez et vous diffusez ces films vous-mêmes. Pourquoi pas à la télé ou dans un média ? 
On est en indé totale parce qu’à partir du moment où on a commencé à se renseigner sur les productions, on a compris qu’il y allait y avoir des blocages : ce qu’on fait court un risque d’un point de vue diplomatique. Donc on a préféré le faire de façon totalement indépendante – plutôt que d’être censuré. 

Et en ces temps de dématérialisation et de « futur bling », Dubaï reste toujours aussi extravagante ?
Alors, là-bas, il y a quand même le principe de la dépense facile. Ils sont assez épicuriens là-dessus. Je n’ai senti, à aucun moment, une crainte par rapport à la source. C’est plutôt : « On a de l’oseille, on le dépense et on vous emmerde ». 

On t’a proposé d’y faire du business ? 
Nous, quand on y était, on savait très bien qu’on n’allait pas pouvoir y remettre un pied. Dès que le sujet business venait, je le prenais comme outil pour mes vidéos mais pas pour moi. En tout cas, les gens y parlent facilement de business, le tabou de l’argent y est levé par rapport à la France. Ce rapport au pognon, il est à fois has-been et un peu kiffant…

Conclusion ?
Comme c’est un pays qui dépend totalement de ses énergies fossiles, et que celles-ci vont rapidement s’épuiser, ils développent le tourisme. Le plus important pour les Émirats et tous ces pays du Moyen-Orient, c’est de maintenir leur position économique dans le monde. C’est vraiment un pays qui fonctionne comme une entreprise. Ce ne sont donc pas deux ou trois activités qui vont à l’encontre de la moralité ou de leur religion qui vont les empêcher de faire quoi que ce soit. 

Ce sera ta prochaine destination de vacances ?
Ah non ! Plutôt… Tulum !

www.mariesinfiltre.com


Par
Laurence Rémila
Photo Maxime Allouche