LA DÉPUTÉE DES STONERS : EN MARCHE VERS LA WEED ?

Caroline Janvier cannabis

Légaliser la weed ? « Une fausse bonne idée » pour Castex. « De la merde » selon Darmanin. Pourtant, une jeune députée LREM, Caroline Janvier, est bien décidée à faire entendre un tout autre discours. Rapporteure thématique sur le cannabis récréatif à l’Assemblée nationale, elle nous fait part des avancées sur le sujet.

Quand elle prend la parole devant l’Assemblée nationale, Caroline Janvier, chic en tailleur gris comme en robe aux couleurs vives, se montre à chaque fois précise, aussi à l’aise lorsqu’elle aborde des thèmes sociaux que des dossiers plus techniques. On l’y a déjà entendue sur la mise en place de l’heure silencieuse dans les hypermarchés, sur le besoin d’une vraie reconnaissance du burn-out, sur les indemnités compensatoires de handicaps…

« SI LES FRANÇAIS SONT PRÊTS À CHANGER DE MODÈLE, CERTAINS POLITIQUES L’INTÉGRERONT DANS LEUR PROGRAMME. »

 

Appliquée, consciencieuse et discrète, cette Macronienne de la première heure (elle a rejoint le parti séduite par sa promesse « d’oxygéner la vie politique avec des personnes issues de la société civile ») réussira-t-elle l’impossible ? Faire de la France – pays où la possession ou la consommation de cannabis restent interdites (avec de simples amendes pour la détention de faibles quantités) – une terre « weed-friendly » ? « Ce n’est qu’une question de temps, affirme-t-elle tout de go en arrivant chez Technikart ce mercredi matin du mois d’avril. La majorité de Français souhaite qu’on évolue et qu’on change la loi sur la consommation du cannabis. La consultation a confirmé cette hypothèse. » 

Cette consultation citoyenne sur le cannabis récréatif, menée en début d’année par la députée, et forte de 253 194 participants, avance des chiffres sans appel : huit Français sur 10 sont favorables à sa légalisation, et 92 % sont persuadés que la loi actuelle ne sert pas à grand-chose… Ces données arrivent à point nommé. Depuis janvier 2020, la Mission d’Information Commune (MIC) sur la « Réglementation et impact des différents usages du cannabis », composée de 33 parlementaires venus de tous horizons, étudie la question. Son rapport sur les différents usages du cannabis – santé, bien-être et récréatif – sera livré début mai. Le plus étonnant dans ce comité présidé par un proche de Valérie Pécresse (Robin Reda, 30 ans et un look de premier communiant tombé dans les affaires publiques) ? Sa composition majoritairement LR et En Marche (avec quelques France Insoumise et PS, mais une absence totale d’écolos et de Rassemblement national). « Pour ce qui est de la présence de nombreux Républicains, leur parti porte un discours sécuritaire qui n’est pas incompatible avec une évolution de la loi sur le cannabis, bien au contraire, nuance la députée. Qu’importe l’étiquette, on partage un point de vue commun sur le sujet – même si certains ont été isolés dans leur propre camp politique en nous rejoignant… » Ambiance. 

« Caroline fait partie de ces gens rares dans cette majorité LREM, qui ont à la fois une liberté de penser et une paire de “couilles” qui lui donnent le courage d’agir », décrypte Valérie Petit, députée du Nord (Modem), ayant fait partie d’une autre mission parlementaire, sur la représentation des femmes aux postes à responsabilité, avec Janvier. « Elle vous fait un grand sourire mais ça ne l’empêche pas de vous dire cash les choses et jeter un pavé dans la mare, gentiment ».

« LIBÉRALE DE GAUCHE » 

Début mai, la MIC publie donc son rapport sur le cannabis récréatif avec des propositions concrètes sur l’auto-culture et la légalisation. « Beaucoup se lancent déjà dans l’auto-culture, et ont développé une forme d’expertise sur le sujet en échangeant des connaissances dans le cadre de clubs ou de groupes informels, reconnaît notre députée. On se pose la question de savoir si on légalise ou pas cet usage. C’est un travail collectif, je ne peux pas toute seule en décider, on donnera des recommandations dans notre rapport début mai. » La suite : faire le tour des ministères concernés pour présenter ce rapport. 

« LE MEILLEUR MOYEN DE LUTTER CONTRE LES EFFETS PERVERS DU CANNABIS, DU TRAFIC ET DU RESTE, C’EST DE LÉGALISER. » 

 

Le dossier avance, d’accord, mais quand pourra-t-on rouler un joint en toute légalité sur le sol français ? « Honnêtement, on n’y arrivera pas dans la dernière année de mandat, il faudrait persuader les collègues qui ne sont pas convaincus par l’intérêt de la légalisation. » Selon cette députée « libérale de gauche » (dixit un de ses proches), le sujet comprend des enjeux de santé publique, de sécurité, mais aussi financiers : « Ces quartiers qu’on a laissés aux mains des dealers, ce sont leurs habitants qui en payent le prix, pas les habitants des beaux quartiers qui, eux, se font livrer. Il y a aussi un enjeu de justice sociale ». Pour la députée, la question du cannabis en France a longtemps souffert de postures idéologiques et politiciennes. Mais aussi d’une vision à court terme : « Acheter la paix sociale en banlieue, avec un discours caricatural, facile et hypocrite. Honnêtement, au niveau électoral on ne va pas gagner grand-chose. Je suis dans le Loiret. Ce n’est pas un sujet prioritaire, mais plutôt tabou depuis cinquante ans. Si on n’avance pas maintenant, on va continuer à prendre du retard et s’enfermer dans une impasse ». 

Et la société est-elle prête à ce grand chamboulement ? Caroline Janvier le répète depuis le début : être favorable à une légalisation (avec régulation), ce n’est ni banaliser ni promouvoir la weed. « Le meilleur moyen de lutter contre les effets pervers du cannabis, du trafic et du reste, c’est de légaliser. On sera plus efficace comme ça. Longtemps, on s’est trompé de débat. Si les Français sont prêts à changer de modèle, certains politiques l’intégreront dans leur programme. » 

Aujourd’hui, pour l’élue, les Français sont prêts. « Beaucoup de politiciens étaient déconnectés, avec un logiciel dépassé. Si en 2022 des candidats l’intègrent à leur programme, alors tant mieux. Après, on peut toujours voir le pire et dire qu’on va le mettre et pas le faire. » La politique actuelle en deux mots ? « Aveu d’échec, un constat d’impuissance avec ce cadre très restrictif, des peines de prison – qui ne sont jamais appliquées, la réalité de la consommation, ses chiffres qui augmentent chaque année. C’est un échec, 568 millions d’euros par an qui sont dépensés pour les forces de l’ordre à ce sujet-là alors que la police pourrait s’occuper d’autres missions si on légalisait. » 

EN VERT (ET CONTRE SON PARTI ?)_

Comme d’autres membres de la Mission d’information autour du cannabis, la députée va à l’encontre de la ligne LREM. Encore un effort, Président ?


La députée en est convaincue, la légalisation permettrait plus de transparence et de traçabilité : des indications sur le produit comme le taux de THC et CBD, le lieu de production, le mode de culture… Elle prône la mise en place d’un contrôle sanitaire pour ne pas laisser les gens consommer n’importe quoi. Un contrôle sur la qualité de la beu, mais aussi sur l’âge des consommateurs, en demandant un justificatif au moment de l’achat. Sur la théorie de l’escalade, « elle se produit actuellement parce que quand vous allez acheter un produit, votre dealer va vous proposer tout un tas d’autres drogues, de la coke, des drogues de synthèse, de l’héroïne, éventuellement. Le passage à d’autres drogues se fait plus facilement avec le cadre actuel qu’avec un vrai cadre. Je suis favorable à ce qu’on assainisse tout ça et qu’on ait un marché régulé ». Au fur et à mesure des usages, il y a de nouvelles problématiques qui apparaissent et il faut adapter la législation. Le cadre législatif que la MIC veut mettre en place sera aussi susceptible d’évoluer en fonction des pratiques observées. Comme pour tout nouveau marché, toute nouvelle pratique, l’encadrement aussi est évolutif. Plus sollicitée sur la question du cannabis récréatif que sur le médical ou le bien-être, Caroline Janvier se retrouve interpellée « par des associations comme Norml ou des médias comme Newsweed, qui sont très bien informés sur la question. Pour moi c’est utile, quand je dis quelque chose qui n’est pas correct ou exact et qu’on me le fait remarquer avec une étude à l’appui, ça m’a permis aussi de prendre connaissance, au-delà des opinions personnelles, d’éléments importants, avec des gens qui travaillent sur le sujet depuis dix, vingt ou même trente ans. C’est intéressant de bénéficier de l’expertise de gens compétents. » 

Et sa propre consommation ? Avant son mandat, cette députée pro-légalisation a « expérimenté » : « Oui, comme un Français sur deux. Par rapport à la commission, ça me permet de mieux voir certains aspects de la problématique ». La suite ? Après cette première victoire – avoir réussi à mettre cette problématique sur le devant de la scène –, sa deuxième victoire sera de faire de la légalisation un sujet sur lequel tous les candidats à la présidentielle devront se positionner. Et nous, on se positionne ? « J’invite tous ceux qui sont intéressés et concernés par ce sujet à en parler, à le dire. La loi se fait souvent parce que le citoyen la demande… »

Légende photo de couverture : LA TÊTE HAUTE_
Star de la MIC, la Mission d’information commune (composée de 33 députés LR, LREM et MODEM) souhaitant changer la loi sur la consommation de l’herbe, la députée réussira-t-elle ? Yes weed can ! 


Par Julio Rémila
Photos : Julien Grignon