Cāest officiel, les Jeux Olympiques sāouvrent au skate en 2020. Lāajout de cette discipline servira-t-elle de cure de jouvence aĢ cette organisation qui cherche aĢ rajeunir son public ? ProbleĢme, toute une frange de la communauteĢ skater nāappreĢcie pas. Le skate tiendra-t-il bon ?
Dimanche 23 juin, journeĢe olympique, Paris. Entre la gym acrobatique et les athleĢtes en collant, les skateurs du Team France sont en place. Le skate, cette discipline anticonformiste, fera son deĢbut olympique dans un an, aux coĢteĢs du surf, du BMX, de lāescalade et du breakdance. Cāest lāoccasion de faire rayonner la jeunesse fraiĢchement reĢacquise des JO. La place de la Concorde grouille de monde, les stands sāeĢtalent comme au salon de lāagriculture. Mais quelque chose ne colle pas entre le monde treĢs rugueux du skate, et celui des JO, treĢs lisse. 16h15, la deĢmo des skateurs français commence sur le Ā« skatepark Ā» installeĢ sur la place. TreĢs vite, le Ā« show Ā» prend une tournure de deĢmonstration aĢ la feĢte du jambon de Bayonne. Deux speakerines hurlent dans un micro, invitant le public aĢ taper dans ses mains sur du Bob Sinclar. Il y a un gouffre entre la reĢaliteĢ du skate et la manieĢre avec laquelle il est preĢsenteĢ. 10 minutes apreĢs, de retour aĢ la tente des skateurs, nous assistons aĢ un eĢchange entre Vincent Milou, skateur du Team France et lāun des team managers. Ā« Toujours la meĢme chose, ils ne comprennent rien, ils ne nous respectent pas. Ā» De profondes incompreĢhensions existent entre les institutionnels et le monde du skate. Et le jeu du mainstream est risqueĢ pour les skateurs. Ā« Avec leurs conneries, cāest nous qui en prenons plein la gueule derrieĢre, sur les reĢseaux sociaux. Ā» Certains meĢdias peinent aĢ comprendre lāunivers du skate. LāeĢquipe comā du Team France connaiĢt bien cette complexiteĢ, lāampleur de la taĢche est homeĢrique pour ces traducteurs chargeĢs de faire le lien entre deux mondes eĢloigneĢs que sont le skate et le formalisme. Mais ouĢ va-t-on ?
PSG ET GROS BRAS
ApreĢs le snowboard, au tour du skateboard de servir de cure de jeunesse aux JO. Lorsque le CIO constate que les audiences du snowboard deĢpassent celles du Super G, ils captent vite que le skate a beaucoup aĢ leur apporter, plus que lāinverse. Mais lāhistoire montre que les skateurs nāaiment pas rentrer dans les rangs. La communauteĢ Ā« core Ā», quelques milliers de personnes en France, nāappreĢcie pas la reĢcupeĢration. Lorsque les termes de coach ou athleĢte sont prononceĢs, leurs tympans explosent, et ils le font savoir. MeĢme reĢaction lorsque des skateurs insouciants ceĢdent aĢ la tentation dāun salaire de cadre gagneĢ en 30 secondes sur Instagram. Erik Bragg, personnage lunaire aĢ la barbe de devin et preĢsentateur de shows deĢglingueĢs autour du skate, explique : Ā« Il y a une certaine compreĢhension des skateurs sur les placements de produits. Si ce nāest pas dissimuleĢ, la communauteĢ va dire ā ok cool, tāas pris un salaire laĢ ouĢ il eĢtait, ça passe Ā». Il est arriveĢ quāun skateur perde un sponsor aĢ cause de ce type de faux-pas. Erik Bragg confie avoir deĢjaĢ aideĢ certains amis skateurs aĢ ne pas passer pour des cons en collaborant avec ces compagnies Ā« de merde Ā». Ce dernier nous rappelle eĢgalement que, Ā« dans les 90ās, il y avait environ une trentaine de skateurs qui vivaient de leur statut de pro. Aujourdāhui, plus de skateurs peuvent se passer dāavoir un deuxieĢme job. Ā»
«LES FILLES APPORTENT UN PEU DE FINESSE DANS CE MONDE DE BRUTES ».

Avec les JO, Ā« il y a beaucoup de gens en dehors du skate qui nāont rien aĢ y faire, qui nāy connaissent rien et qui viennent mettre leur nez dans ces affaires Ā» insiste Vincent Milou. Les poids lourds de lāindustrie comme Nike ou Adidas, favoriseĢs par lāeĢlargissement attendu du marcheĢ, sont surveilleĢs de preĢs. Pour Alexis Papadopoulos, de Nozbone skateshop Ā« On ne peut pas reprocher aĢ Nike dāavoir mis du pognon dans le skate, cāest lāobjectif final qui deĢrange. Ā» Lorsque Nike arrive sur le marcheĢ du skate, Ā« ils font les gros bras, aĢ grands coups de marketing Ā». Mais ça ne prend pas. Pas pour le moment en tous cas. Ils embauchent donc des skateurs, collaborent avec dāautres, et reviennent plus discreĢtement. Une fois installeĢs, ils ouvrent en grand la distribution. Les promos permanentes creĢent une concurrence insurmontable pour les petits skateshops.
Alexis Papadopoulos ne vend plus de Nike dans son shop, Ā« on perdait de lāargent. Ā» Pour eĢviter ce genre de situation, Nike met en place une liste de skateshops dans lesquels ils veulent eĢtre preĢsent, le club 58. A force de ruse, la marque verdit son image dans les skateshops et continue de vendre ses produits sans en faire profiter les acteurs du skateboard. Ā« On est des vitrines, on leur permet de toucher une clienteĢle core, explique Alexis Papadopoulos, qui ajoute, cāest comme dans le foot avec le PSG. Ils deĢboulent, racheĢtent tous les skateurs et font tellement monter les encheĢres que les petites marques ne peuvent plus payer leurs rideurs, du coup ils perdent leur visibiliteĢ. Ils ont eĢtouffeĢ les petites marques. Ā» Mais il y a aussi des bons eĢleĢves. Depuis les 70ās et la creĢation de la premieĢre chaussure de skate, Vans a beaucoup apporteĢ au skateboard. Steve Van Doren, creĢateur de la marque et personnage embleĢmatique explique, Ā« si nous avons un devoir, cāest dāeĢcouter et de rester impliqueĢ. Ā» La machine Vans contribue aĢ diffeĢrents niveaux aĢ la preĢservation de la culture skate. Steve Van Doren dit avoir toujours eĢteĢ inspireĢ par un groupe de personnes en particulier, les die-hard skateboarders. Bobby Gascon, directeur du marketing mondial chez Vans, est conscient de lāimportance du roĢle des skateshops pour cette communauteĢ die-hard : Ā« SāalieĢner des skateshops core nāest pas la chose aĢ faire, ce sont les messagers de la culture skate. Ā»
Nozbone aĢ Paris, Wall Street aĢ Lyon, Zeropolis aĢ Lille, sont plus que de simples magasins de skate mais de veĢritables points dāancrage pour tout un monde qui gravite autour du skateboard. Alexis Papadopoulos lāexplique : Ā« Cāest le lieu de rendez-vous, tāas les deux gars du crew qui skatent super bien, tāen as un qui va faire des photos, tāas lāautre qui va faire de la videĢo, le dernier est aĢ fond dans la musique, etc. Ā» Le skate et sa culture favorisent largement les carrieĢres artistiques, ou alors ce sont les skateurs qui sont creĢatifs. Ā« Lomepal, Antoine quand il eĢtait minot il passait aĢ Nozbone, il skatait, et maintenant il a une carrieĢre de fou devant lui. Mouss, qui est sponsoriseĢ par le shop, cāest aussi le batteur de Bagarre… Ā» Les skateshops et les petites marques doivent eĢtre des sanctuaires inviolables. Pour Erik Bragg, Ā« Si tu arrives dans un shop et que tu te prends pour le mec le plus cool, on te fera vite comprendre que ce nāest pas le cas. Le skateshop apporte aussi de lāhumiliteĢ, certains skateurs sur Instagram nāont pas les codes de la communauteĢ et ne savent pas comment se comporter quand ils croisent dāautres skateurs. Ā» Des voix fortes ont toujours su donner les grandes lignes de ce que devait eĢtre le skate, comme celle, perdue reĢcemment, du mythique reĢdacteur en chef de Thrasher Magazine, Jake Phelps, deĢceĢdeĢ en mars dernier. En plus de 30 ans dāactiviteĢ, cet eĢnergumeĢne furieusement passionneĢ a largement contribueĢ aĢ favoriser un skateboard punk, fideĢle aĢ ses origines, aĢ seĢparer les Miles Davis du skate des PNL en trottinette. Jake Phelps.
Ā« LE SKATE, CE NāEST PAS FAIT POUR EĢTRE DANS UN GYMNASE Ā» Alexis Papadopoulos

UNIFORME ET VOMI
LāeĢtiquette olympique reverdira-t-elle lāimage du skate ? La sceĢne française et europeĢenne nāa-t-elle, pas besoin de reverdir son image. Ā« A une eĢpoque, cāeĢtait les Ricains qui menaient la danse. Ça fait 5 ou 6 ans quāils ne font que regarder du coĢteĢ de lāEurope pour sāinspirer Ā» explique Alexis Papadopoulos. Magenta, Polar, Palace… ces marques europeĢennes arriveĢes il y a quelques anneĢes, ont apporteĢ un coĢteĢ plus underground, des shapes diffeĢrentes, des graphiques chiadeĢs, des skateurs originaux. Ā« Les Ricains sāeĢtaient un peu endormis, Girl, Baker, Real… meĢme graphiquement, cāest du logo sur une board, basta. Ā» Aux JO aussi les skateurs français inspirent. Depuis le deĢbut de lāanneĢe et les premieĢres compeĢtitions qualificatives, le Team France est lāun des premiers aĢ beĢneĢficier de tenues dāeĢquipe. Des uniformes dans le skate ? Ā« Quand on nous lāa donneĢe, on sāest dit quāon allait se faire cracher dessus. En France, ça nāa pas plu aĢ beaucoup de gens. Mais aux US ou dans dāautres pays, des skateurs pros comme Torey Pudwill ou Ishod Wair, des anciens Skater Of The Year qui ont eĢnormeĢment de renommeĢ dans le skate, cāest les premiers qui sont venus nous voir en nous disant, āputain, vous avez trop de chance, ils sont trop bien vos trucsāā Ā» explique Vincent Milou. Le Team USA compte parmi les meilleurs skateurs, mais cāest bien le Team France qui est le plus soudeĢ. Ā« Il y a des rideurs dāautres pays qui sont jaloux de nous voir toujours tous ensemble. Le Team USA ils sont chacun de leur coĢteĢ Ā» explique Charlotte Hym, skateuse du Team France.
LāarriveĢe du skate aux JO aura eĢgalement permis plus dāinclusion. Ā« Les filles apportent un peu de finesse dans ce monde de brutes. Elles skatent avec un style diffeĢrent Ā», note Alexis Papadopoulos. Au-delaĢ de la mixiteĢ de genre, la mixiteĢ dāorigines est eĢgalement renforceĢe. Ā« La SLS aĢ Rio eĢtait le plus gros contest jamais organiseĢ, avec plus de 200 skateurs de plus de 40 pays. Ā» soutient CJ Olivares, ex-CEO de la SLS. Erik Bragg y a dāailleurs Ā« deĢcouvert des skateurs incroyables, quāon nāaurait jamais vu autrement Ā».
Ā« CāEST DES FURIEUX Ā»
Avec cette inclusion, des styles distinctement diffeĢrents se deĢtachent. Celui des Japonais fait particulieĢrement parler. FraiĢchement deĢbouleĢs sur la sceĢne internationale, une tripoteĢe de skateurs robotiseĢs font peur aĢ tout le monde. Avec leur technique preĢcise et reĢgulieĢre, ils prennent immeĢdiatement place sur les podiums. Charlotte Hym lāa constateĢ. Ā« Elles ont entre 10 et 13 ans, personne ne les connaiĢt, elles ont 500 abonneĢs sur Instagram, elles arrivent et mettent 15 points dāavance aux autres filles. Ā» Si les AmeĢricains et les BreĢsiliens sont ancreĢs dans la culture skate depuis ses origines, certains Japonais ont une relation plus eĢloigneĢe avec lāunivers puriste. Vincent Milou explique, Ā« Cāest des machines, mais ils ne deĢgagent aucune eĢmotion, ils sont laĢ pour gagner et ils nāont aucune reĢfeĢrence dans le skate. Ā»
Mais la culture alternative du skateboard sāimmiscera peut- eĢtre aux JO aĢ travers certains skateurs. En 2010, le Français Adrien Bulard fait un peu trop la teuf la veille dāun contest, il tombe et vomit plusieurs fois pendant son run, et finit en posant un gros 3-6 flip avant de glisser sur une mysteĢrieuse substance. Alexis Papadopoulos rappelle que Ā« cāest aussi ça le skate. Cāest des furieux, il y a ce coĢteĢ deĢjanteĢ quāil faut garder. Ā»
Pas dāinquieĢtude, comme le dit Vincent Milou, Ā« le skate reste le skate Ā». Des trottoirs isoleĢs jusquāaux spots les plus mythiques, les skateurs ne sont pas preĢs de deĢgager des rues. Pour Alexis Papadopoulos, Ā« Le skate, ce nāest pas fait pour eĢtre dans un gymnase. Sur un spot de skate, tāas le mec de banlieue qui parle avec celui qui vient du 16eĢme, et les mecs sont potes aĢ la fin. Ā» Sabatino Aracu, preĢsident de World Skate, a deĢclareĢ dans une interview pour LāEquipe quāil verrait bien les eĢpreuves de skate de Paris 2024 se deĢrouler place de la ReĢpublique. Une belle ideĢe qui permettrait de remettre le skateboard aĢ sa juste place, dans la rue.
J.B. CHIARA
PHOTO : Hugues Pascot