[LES GRANDES INTERVIEWS TECHNIKART] : FRANÇOIS HOLLANDE

Francois hollande technikart

Ce mec est-il vraiment normal ?
Le pouvoir, les idées, les femmes: enquête sur le candidat le plus barré du PS.

Et si le mec le plus normal du monde – François Hollande, 57 ans, quatre enfants, myope, au régime, montre Swatch, chemise Celio et chaussures indéfinies – était en réalité le plus barré, le plus dingue et le plus incroyablement « freak » de tous les candidats aux primaires du parti socialiste, prévues les 9 et 16 octobre 2011 ? Depuis qu’il s’est présenté voici tout juste un an à l’université d’été de la Rochelle 2010 sous les traits du « président normal, face aux excès de Nicolas Sarkozy », cet ancien premier secrétaire du parti, réputé pour ses blagounettes et son ex-compagne (Ségolène Royal), semble avoir trouvé la parade politique qui peut conduire les socialistes jusqu’aux portes de l’Elysée.

« Un président ne doit ni être un enragé, ni un psychopathe », nous a confié l’actuel député et président du conseil général de Corrèze, dans une brasserie parfaitement normale, le Concorde, à deux pas de l’Assemblée nationale. Le problème, c’est que pour parvenir à un tel niveau de banalité électorale, celui qui surfe sur les sondages depuis l’éviction du priapique du FMI a dû avaler tellement de merdes et d’humiliations qu’on peut se demander si, à côté, Sarkozy, qui est devenu président pour tuer le père et se taper des gonzesses, n’est pas un modèle de stabilité…


La stratégie de la petite crotte

« Sarkozy ? Il faut lui marcher dessus, il paraît que ça porte bonheur. » 1995 : Jacques Chirac dit tout le bien qu’il pense de son futur successeur. Mais en cette fin de campagne meurtrière à droite, le nouveau président élu n’ignore pas qu’une autre petite colombe commence à faire glisser tous ceux qui lui marchent dessus à gauche : François Hollande, le nouveau porte-parole du PS, une vieille connaissance de Corrèze… Depuis qu’il l’a humilié quatorze ans plus tôt dans un meeting RPR à Neuvic d’Ussel, alors qu’il l’interpellait au milieu de quatre cents militants RPR chauffés à blanc (législatives de 1981), Chirac a découvert la ténacité toute mitterrandienne de ce socialiste joufflu qui sait prendre des coups avec le sourire. 

Insulté par Fabius qui l’appelle régulièrement « Flamby », « Porcinet » ou « Fraise des bois », méprisé par Strauss-Kahn qui a été deux fois ministre quand lui n’a jamais dépassé le poste de directeur de cabinet, snobé par les jospinistes qui lui confient le parti en 1997 en pensant « le tenir en laisse », trahi par ses poulains (Eric Besson, déjà) dès l’envolée de Ségolène dans les sondages (2006), François Hollande est passé maître dans l’art de la petite crotte. On le piétine, on l’écrase, on s’essuie dessus. Mais c’est toujours lui qui finit par ramasser ceux qui lui ont manqué de respect (Fabius, Montebourg, etc). 

Sa botte secrète ? La vanne de combat, véritable canon à eau humoristique, qui lui permet de neutraliser les adversaires et retourner des salles hostiles. Mais surtout sa technique d’« intrusion enchantée » : une invitation joyeuse en territoire hostile, qui lui a toujours porté chance depuis ce meeting de Neuvic d’Ussel. En 2002, il sauve ainsi son poste de député en faisant un coucou surprise à Raffarin et Bernadette Chirac, venus lui donner le coup de grâce à Tulle dans une réunion UMP. Depuis, l’ex-première dame est devenue sa plus fervente supportrice. Et il n’y a plus vraiment d’opposition à Tulle, vu qu’il connaît et apprécie tous les militants UMP, qu’il va saluer jusque dans leurs locaux.


L’espion qui venait du moi

« Peut-être y avait-il du hollandisme dans le chiraquisme. Et il ne le savait pas… » Devant son café, François Hollande ne peut s’empêcher de déconner, malgré ses nouveaux habits de présidentiable. C’est le péché mignon de ce favori des primaires : il a beau jouer les Pompidou de gauche pour faire plus sérieux, il ne résiste pas au plaisir d’en lâcher une bonne aux journalistes avant de leur demander de ne pas l’imprimer, sérieux et crise de la dette oblige. Et pourtant, derrière ce Gene Wilder du Limousin se cache l’un des hommes les plus secrets de la Ve République… Conseiller officieux de l’Elysée pendant les deux premières années du septennat de Mitterrand, il est de tous les coups fumants : faux livre de droite écrit par le journaliste André Bercoff (sous le pseudonyme de Caton) pour ridiculiser les ténors du RPR, dont il fournit toutes les informations confidentielles et va même jusqu’à remplacer l’auteur dans une série d’interviews par téléphone, trésorier undercover de l’association SOS Racisme à ses débuts, qui va vite devenir l’un des plus belles opérations de manip’ politique de la « Mitterrandie » et un levier de mobilisation pour la « Génération Tonton »… 

Hollande puise toute sa science de l’espionnage et du dessous des cartes, dans l’une des pires vexations de sa vie :
la vraie-fausse campagne du parti socialiste en Corrèze contre Chirac aux législatives de juin 1981 où, à 27 ans, seul, sans expérience et sans soutien des éléphants, il manque de mettre en ballotage Chirac à 243 voix près, pour finir par découvrir que personne au PS ne lui en demandait d’en faire autant, surtout pas de battre celui dont le double jeu pendant la présidentielle avait fait élire Mitterrand ! Un dépucelage en magouilles qui va laisser des traces.


La vengeance de Frère Benêt

Seize ans plus tard, il faudra ainsi plusieurs semaines à Lionel Jospin pour se rendre compte que son cabinet à Matignon est totalement infiltré par des proches de François Hollande. Il faut dire que face à ses collègues, ministres ou conseillers, Hollande dispose d’un avantage certain : il sait garder un secret. Pendant vingt ans, il va fréquenter en toute discrétion Julien Dray, l’un des fondateurs de SOS Racisme, expert en coups tordus et manifs étudiantes, sans que personne n’en sache rien. Gorge profonde de la gauche, il reçoit également par deux fois les appels de Giscard pour laminer une bonne fois pour toutes Chirac en Corrèze ou à l’Elysée. Libéré en 2008 de la direction d’un parti qu’il a dirigé pendant dix ans, il connait aujourd’hui le moindre militant, secrétaire de fédération, son épouse ou son cousin, qu’il appelle par son prénom au téléphone. Ce n’est pas la technique Kennedy, c’est plutôt de la pêche aux infos.

Car celui que ses ennemis qui n’ont rien compris appellent « Frère Benêt », n’aime rien autant que les conciliabules et les « tuyaux » de derrière les fagots… Une passion pour les conversations chuchotées, la main sur le combiné, qui remonte à ses premières gesticulations en « on » et « off » avec les journalistes, du temps où il était directeur de cabinet du sémillant Max Gallo, porte-parole du gouvernement de Pierre Mauroy et auteur de livres assez fatiguants sur Napoléon.

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Une Swatch à 50 ans…
13 février 2009, journal du matin sur France 2. Jacques Séguéla, l’ex-pubard de Mitterrand, explique à Olivier Galzi: «Si on n’a pas une Rolex à 50 ans, c’est qu’on a raté sa vie.» Ça tombe bien, François Hollande en a 55, porte une Swatch, des chemises Celio, des costumes «de prêt à porter ou sur sur-mesure, mais faits par un ami» (sous entendu, pas trop cher) et vient de décider de se présenter. Le président péquenot est en train de germer…


Le média planant

Au Matin de Paris, un journal moribond racheté à l’époque par le fondateur de la Fnac pour offrir un porte-voix supplémentaire aux socialistes, il va même parfaire son observation sociologique de la misère humaine en milieu journalistique en devenant le plus serviable de tous les agents de liaison de l’Elysée dans une rédaction. Faux journaliste embarqué mais vrai politique, François Hollande arrange des coups et ouvre des portes pour toute une nouvelle génération de journalistes (Christine Bravo, Ruth Elkrief, Florence Muracciole, Isabelle Legrand-Bodin, la future femme d’Alain Juppé…) dont il va rester l’interlocuteur privilégié. Connu pour être l’un des élus les plus joignables et disponibles pour la presse (il donne son numéro facilement), il passe tellement de temps sur son portable qu’il peut régulièrement se cacher aux chiottes en pleine réunion, pour prendre un appel ou finir une conversation. 

Mais cet « ami des médias » – qui ne fait pas encore l’erreur de se montrer caractériel ou menaçant comme Sarkozy – organise aussi « son information » comme un média-planneur. Lui qui lit peu ou presque (à part le dictionnaire) et peine à écrire ses propres livres (Pierre Moscovici qui a publié l’Heure des choix avec lui, s’en souvient encore), peut devenir un orfèvre du « langage Soupline », dès lors qu’il s’agit de trouver le mot juste – c’est-à-dire amidonné comme il faut – dans un communiqué à dicter à l’AFP. Même ses livres ne sont que des variables d’ajustement de son baromètre politique. Fayard, qui devait publier à la rentrée son livre-programme (Un destin pour la France), n’en revient d’ailleurs toujours pas d’avoir été déprogrammé par le candidat au dernier moment, au profit d’un bouquin vite torché (Le rêve français), à base de discours compilés, chez un éditeur des Pyrénées (Privat).


Maman m’a dit

 « Il a bien maigri, mais là c’est trop ! Je lui ai dit d’ailleurs : “Vous avez trop fondu !” » Renée, serveuse au Concorde, a quelques heures de vol. Elle connaît bien François Hollande et ses femmes depuis des années : son café est situé en face de l’ancien QG de la candidate Royal en 2007. Le « président normal », qui est un peu tombé en politique comme Elvis dans la musique, c’est-à-dire pour faire plaisir à sa maman (« Une volonté intacte d’accomplir ce pour quoi sa mère l’a mis au monde », dixit son ami Jean-Pierre Jouyet), est aujourd’hui le seul candidat à dissimuler ses kilos en moins pour s’accrocher à la normalité. « J’ai juste arrêté les frites et le chocolat », rassure celui qui parle d’une dizaine de kilos perdus quand il semble avoir rétréci du double. « Mais il est beaucoup plus apaisé, que quand il était avec Ségolène », confirme Renée. 

Fou amoureux de sa mère, disparue voici deux ans, François Hollande semble entretenir avec les femmes une relation de petit garçon dont l’axe dominant n’est pas forcément celui que l’on croit. Sa compagne actuelle, Valérie Trierweiler, fait ainsi des efforts démesurés pour ne pas se mêler de sa campagne, mais ne peut pas s’empêcher d’envoyer des SMS aux journalistes pour rappeler que François Hollande « ne se teint pas les cheveux ». Ségolène Royal, à qui – contrairement à ce qu’il affirme dans Le rêve français – il ne parlerait pas beaucoup depuis des années, aurait accepté l’idée de débats normaux et pacifiés avec lui, lors des primaires. Pour ce social-démocrate à la normande (il est originaire de Rouen), dont le seul vrai projet politique est une sorte de « new deal » fiscal « modéré et progressif » (plus d’impôts, mais ça fait moins mal), la question est d’importance. Plus il peut faire la « synthèse » des femmes de sa vie (Ségolène à Matignon, Valérie à TF1 ?), plus il peut faire croire aux Français qu’il va faire du Sarkozy en plus juste, moins clientéliste et moins bruyant. Sur un malentendu, ça peut marcher. C’est ce que pourraient se dire beaucoup d’électeurs de droite, au moment de voter pour lui.

« Je ne vais pas “psychologiser” la fonction présidentielle. Elle a déjà beaucoup  trop souffert. »

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François Hollande, votre mère était assistante sociale et à la CFDT, votre père, oto-rhino et partisan de l’Algérie française. Vous êtes entré en politique pour plaire à maman ou déplaire à papa ?
Ni l’un, ni l’autre. J’ai eu beaucoup de respect pour mes parents. Mais je n’ai pas partagé l’engagement de mon père.

Vous êtes-vous heurté à lui ?
Politiquement, oui. Mais je me suis construit par moi-même. Contrairement à beaucoup de leaders politiques, je n’ai pas eu à rompre avec mes parents, ni à suivre un exemple familial pour m’engager au service des autres.

Vous ne voulez donc pas devenir président pour régler des problèmes freudiens ?
En aucune façon, je ne vais « psychologiser » la fonction présidentielle. Elle a déjà beaucoup trop souffert…

Si vous êtes élu, pourquoi les choses seraient-elles forcément différentes avec vous d’avec Sarkozy ? Après tout, vous aussi vous venez de Neuilly, vous êtes pote avec Christian Clavier, etc.
C’est un cliché tout ça ! Le problème n’est pas de savoir d’où l’on vient mais de convaincre de sa capacité de changement et du sens de son engagement. Un homme ne se juge pas à partir de son lieu de naissance ou de sa famille, mais sur son courage et ses idées. 

A l’ENA, vous ne croisiez pas Sarkozy, mais Dominique de Villepin, Renaud Donnedieu de Vabres, Henri de Castries (Axa), Pierre Mongin (RATP), etc. Il y a quand même un certain mimétisme dans la classe politique, non ?
Mais ce n’est pas parce que j’ai fréquenté des gens pendant mon parcours universitaire que j’ai partagé leurs convictions ! Et d’ailleurs, je regrette que ceux qui passent par l’ENA aujourd’hui ne se dirigent plus vers la politique mais, hélas, vers la banque ou les milieux d’affaires.

On retrouve pourtant les mêmes usages dans les deux camps. A vos débuts, vous-même avez bien fait comme Chirac…
Comment ça ?

Comme lui, vous avez fait «un peu» semblant de travailler à la Cour des comptes pour faire votre trou à l’Elysée, auprès de Jacques Attali…
J’étais à la Cour des comptes !

Oui, trois après-midi par semaine…
Les grands corps de l’Etat permettent aux hauts fonctionnaires de pouvoir parallèlement aller dans les cabinets ministériels. J’avais une double journée de travail et je l’assumais.

Trente ans après 1981, votre campagne s’inspire-t-elle de celle de Mitterrand ?
La France a changé, mais il y des points de comparaison tout à fait étonnants. En 1981, le président sortant (Valéry Giscard d’Estaing – NDLR) pense qu’être déjà au pouvoir est un atout face à son rival socialiste. Il est à l’Elysée depuis sept ans, mais il fait quand même une affiche « Un président pour la France ». Eh bien, si vous regardez la campagne actuelle de Nicolas Sarkozy, vous constaterez que c’est exactement la même que celle de Giscard à l’époque : « Un président qui protège. »

Beaucoup de gens n’aiment pas Sarko, le prennent pour un dingo, mais lui reconnaissent aussi une énergie d’enragé, surtout en cas de crise. On dit toujours que derrière un grand chef, il y a un psychopathe qui sommeille…
Justement, un président ne doit être ni un enragé, ni un psychopathe.

Il faut quand même être très manipulateur et pervers, pour conquérir et conserver le pouvoir, non ?
Ni manipulateur, ni pervers. Le chef doit savoir où il va.

Aujourd’hui, c’est décidé: vous êtes pour le mariage homo. Comment comptez-vous faire avaler la pilule à cet électorat retraité qui pèse autant sur les élections ?
L’électorat retraité pèse de plus en plus, il faut le respecter ! Car c’est d’ailleurs lui… 

… qui a fait perdre Jospin ?
Pas seulement. En 2007, il a voté majoritairement pour Nicolas Sarkozy. Mais à quoi aspire, au plus profond, cette population ?

« Un président ne doit être ni un enragé, ni un psychopathe. »

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Que ça aille mieux pour ses enfants…
Exactement ! Je me suis moi-même fait cette réflexion depuis longtemps et elle m’a été confirmée par tous les contacts que j’ai pu nouer ces derniers mois. Le meilleur moyen de convaincre ces personnes de plus de 60 ans, qui ont le souci de préserver leur retraite et leur épargne, c’est de leur dire que nous allons agir au service des jeunes. 

Le «président normal», ça va faire un carton chez les vieux ?
C’est en tout cas une figure du chef de l’Etat qui rassure. Les Français attendent d’un président de la cohérence, de la constance, de la vision. Pouvoir s’inscrire dans un temps long et avec des références qui leur permettent de faire des choix. Sarkozy les a beaucoup inquiétés avec ses zigzags, ses comportements excessifs qu’en ce moment il essaie de corriger.

Pour un «président normal», vous avez quand même fait des coups pas croyables…
C’est-à-dire ?

Ce faux livre de droite («De la reconquête») écrit sous pseudo (Caton) par André Bercoff en 1983 pour déstabiliser la droite tout en faisant semblant d’attaquer la gauche, le tout à la demande de Mitterrand, avec vous aux commandes. C’était dingue, non ?
Vous savez, j’ai juste contribué à donner à ce livre quelques informations économiques. 

Et vous avez fini par vous faire passer pour l’auteur-mystère à la radio. Un vrai canular ! C’est quand même pas courant pour un futur chef d’Etat…
Ce n’est plus un secret depuis bien longtemps. Ça faisait partie d’un coup d’édition qui avait très bien marché. D’ailleurs, je n’étais pas du tout dans la politique à ce moment-là.

Non, mais vous faisiez partie de la «cellule Attali» à l’Elysée. La même d’où vous avez piloté le financement de SOS Racisme.
Quand cette association est née, j’ai veillé à ce qu’elle puisse avoir les bases juridiques et les capacités d’influence qui ont contribué à son succès, rien de plus.

Aujourd’hui, le grand projet de votre programme pour 2012, c’est la «révolution fiscale». On a l’impression que vous voulez redonner envie aux gens de payer des impôts.
La République française est née de cette double aspiration : être une grande nation ouverte au monde et un pays solidaire. Elle se fonde sur une promesse d’égalité et de progrès. Depuis plus de deux cents ans, les Français ont construit, génération après génération, leur destin.

D’accord, mais comment espérez-vous être élu en proposant aux Français d’être de meilleurs contribuables ? 
Parce que la fiscalité est un élément du pacte républicain. C’est même l’un des principes fondateurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789…

Vous savez qu’au Trésor public, l’ambiance a bien changé…
Sûrement. Nous ne sommes plus le 4 août avec la fin des privilèges ! Mais faut-il rappeler que chaque citoyen doit participer à l’effort à la mesure de ses facultés contributives. C’est ça l’équité républicaine. Il ne s’agit pas d’aller devant les Français en disant : « Formidable, vous allez tous payer des impôts ! », même si je m’amuse de voir que certains parmi les grandes fortunes veulent en payer davantage ! Mon projet, c’est d’avoir une fiscalité plus juste et que certains payent moins et d’autres, davantage.

« La fiscalité est devenue la faute originelle de Sarkozy. »

Une fiscalité plus juste, c’est plus de gens qui paient des impôts ou plus d’impôts pour tous ?
Ça veut surtout dire pas les mêmes qu’aujourd’hui. Moins de largesses envers les catégories qui ont été excessivement favorisées par le pouvoir actuel et davantage de solidarité à l’égard de ceux qui travaillent, qui ne peuvent échapper par des mécanismes dérogatoires à la progressivité de l’impôt, qui même quand ils n’acquittent pas un impôt sur le revenu, payent une CSG, un impôt local, une TVA. C’est une nouvelle donne fiscale pour permettre, si effort il doit y avoir, un partage harmonieux.

Les inégalités fiscales vont-elles devenir pour Sarkozy en 2012 le même boulet que l’insécurité pour Jospin en 2002 ?
Oui, et ce fut sûrement très injuste pour Lionel Jospin. La fiscalité est devenue la faute originelle de Sarkozy. Au lendemain de son élection, les premières mesures qu’il a fait voter, ce que l’on a appelé le paquet fiscal – soit l’ensemble des dispositions qui vont de l’impôt sur la succession à la défiscalisation des heures supplémentaires, sans oublier l’allègement de l’impôt sur la fortune et le bouclier fiscal – ont marqué au fer de l’injustice son quinquennat.

D’après vous, c’est une faute de caste ?
C’est une faute économique avant d’être une faute idéologique. L’erreur, c’est d’avoir fait croire aux Français qu’en servant les plus favorisés, il y aurait un effet bénéfique pour toute la société. C’est ce qu’on appelle l’effet de déversoir : je donne au plus haut de la hiérarchie sociale et ça va s’égoutter tout seul…

Et ça ne marche jamais comme ça ?
Regardez ce qui s’est passé ! La consommation a baissé parce qu’il n’y a pas de pouvoir d’achat. Et, en revanche, l’épargne spéculative a été largement stimulée. 

Pour votre première campagne électorale, le responsable du PS en Corrèze vous appelait déjà «le petit Chirac de gauche». Trente ans plus tard, l’ex-président déclare pour rire: «Moi, je vote Hollande !» Finalement, il y avait du «chiraquisme» dans le «hollandisme» ?
Non, du « corrézianisme » ! Mais, plus sérieusement, il y a le même respect pour l’un comme pour l’autre de ce qu’est un citoyen. C’est-à-dire une attention aux autres, un attachement à un territoire et une conception exigeante de la laïcité. En revanche, j’ai toujours contesté, dans le chiraquisme, le clientélisme, comme l’opportunisme.

Vous l’avez affronté à 27 ans, sans soutien réel du PS, pour finir par découvrir qu’en coulisses, le parti ménageait Chirac dont le double jeu avait contribué à faire élire Mitterrand…
J’ai vu le système. Et depuis ce jour-là, je me suis promis de ne jamais organiser un système, de n’avoir jamais à dépendre des uns et des autres.

Vos «transcourants» au parti socialiste, c’était un anti-système ?
C’était la volonté de ne pas être dans le clanisme. L’idée qu’il faut avoir une meute autour de soi, comme on disait autrefois des « jeunes loups ». Ça voulait dire : croire en son propre destin sans avoir besoin d’écarter, d’éliminer ou d’utiliser des formules sectaires.

« Je ne pense pas que la politique se fasse dans la chambre à coucher. » 

De Giscard à Sarkozy, les présidents n’ont jamais eu un comportement très «mesuré» avec les femmes. Pensez-vous que les Français puissent élire un chef d’Etat qui soit aussi normal… au lit ?
En tous cas, je ne pense pas que la politique se fasse dans la chambre à coucher.

Vous n’êtes pas sensible au fantasme sexuel du prince ?
Je ne réponds pas à ce type de question. J’essaye d’être moi-même. Je crois que les Français sont à la fois très libres, très tolérants à l’égard de la vie des uns et des autres, y compris de ceux qui les représentent. Et, en même temps, ils veulent que cela reste dans le domaine privé et qu’il n’y ait pas de confusion des genres. Je ne déroge pas à la règle.

Vous avez la réputation d’être très drôle, en tous cas plus qu’André Santini. Mais plus les primaires approchent, moins vous faites de blagues. Qu’est-ce qui vous arrive ?
Ce qui a modifié mon comportement, mon rapport aux médias et même mon langage, c’est la situation elle-même. Quand un pays traverse une crise morale, économique, sociale, quand il y a autant de difficultés, autant d’inquiétudes pour la génération qui vient, l’heure n’est plus à l’amusement public, à la dérision et à la polémique. La petite phrase facile, c’est à la portée de beaucoup. 

Et vous en avez fait beaucoup des petites phrases, longtemps…
Trop longtemps ! J’ai été porte-parole du PS pendant deux ans, premier secrétaire du parti pendant dix ans. Et la facilité, c’est forcément d’être dans la critique, de trouver la reprise médiatique avec une phrase cinglante. A un moment donné, ce qu’on demande à un responsable politique, ce n’est pas simplement d’être un parfait opposant, mais d’être responsable. Il n’empêche que l’humour reste une arme, utilisée à bon escient.

Où avez-vous acquis une telle science des médias ? C’était pendant votre stage au «Matin de Paris» en 1986, quand vous étiez envoyé par l’Elysée ?
Je n’ai pas été envoyé par l’Elysée. C’est Max Gallo qui, à l’époque, était directeur de ce journal…

Qu’il avait fait racheter par Max Théret, le fondateur de la Fnac, avec l’aval de Mitterrand !
Et j’y ai beaucoup appris. De même, lorsque Max Gallo était porte-parole de l’Elysée, j’étais son directeur de cabinet. Je découvrais comment s’écrivaient les papiers, s’organisaient les rapports entre presse et pouvoir, etc. Ça m’a a été utile dans ma vie politique.

Vous qui avez vécu de près le fiasco de com’ de la campagne de Jospin en 2002 avec ces affiches sans le nom du candidat, les clips à la Deschiens, pouvez-vous devenir le premier président du XXIe siècle élu sans publicitaires ?
D’abord, une campagne, ça ne se réduit pas à une communication. Rétrospectivement, on résume souvent une victoire par un slogan, mais c’est avant tout la rencontre d’une femme ou d’un homme avec un peuple. On peut critiquer ce raccourci, mais c’est un contrat que l’élection présidentielle organise : « Faites-vous confiance à cette personne pour les cinq prochaines années ? » Et ça, ce n’est pas une affiche, ni un costume qui va vous convaincre. 

Donc, vous n’avez pas de communicants perso. Vous n’en avez pas besoin ?
Non, mais j’entends aussi tous les conseils. 

« Le “président normal”, c’est de moi. Les publicitaires ne  me l’ont pas donné. »

Le «président normal», ce n’est pas un concept d’agence de pub ou de consultants ? 
Le « président normal », c’est de moi. Les publicitaires ne me l’ont pas donné. D’ailleurs, si je leur avais demandé, ils auraient dit que c’était une très mauvaise idée de communication.

Ah bon ?
Bien sûr qu’ils auraient dit ça ! Pour eux, se présenter devant les Français en disant que vous allez être normal, c’est une aberration. Alors que selon moi, ce que demandent les citoyens aujourd’hui, c’est de la cohérence et du respect. La politique est toujours première ; la communication n’est qu’une mise en forme.

Le site Electron Libre, généralement bien informé, affirme que l’avocat de Tristane Banon était en discussion avec l’UMP avant de porter l’affaire devant la justice. Cela vous conforte-t-il dans l’idée que cette affaire, où vous avez été entendu par la police comme témoin, était destinée à torpiller votre campagne ?
J’ai juste trouvé étrange que le Figaro fasse sa « une » sur mon audition par la BRDP (Brigade de répression de la délinquance contre la personne) qui n’avait rien de particulier, puisque je ne suis pas concerné par cette affaire. Mais je ne ferai aucun commentaire là-dessus, j’ignore toutes ces petites manœuvres. Néanmoins, je pense que la campagne de 2012 sera dure. 

Vous vous attendez à d’autres torpilles ?
Oui, mais je ne suis pas non plus dans la théorie du complot. J’essaie de voir la médiocrité des actes plutôt que le caractère démiurge du pouvoir. Je n’imagine pas non plus qu’il y ait, à l’Elysée, une cellule qui déciderait de tout.

Cette «une» du «Figaro» a dû vous en rappeler une autre: celle où vous posiez en couverture de «Paris Match» en 2005, côte à côte et tout sourire avec Nicolas Sarkozy…
Oui, mais là c’est différent. J’avais donné mon accord.

Justement ! Comment avez-vous pu tomber dans un piège pareil ?
Beaucoup ont fait une fausse interprétation de cette image, pour dire : « Ils sont d’accord sur la question du référendum » (sur la constitution européenne – NDLR), alors que nous n’en avions nullement parlé et qu’il ne s’agissait que d’illustrer un duel entre le premier secrétaire du PS et le président de l’UMP sur les mouvements sociaux qui montaient dans le pays. Finalement, cette photo sera peut être prémonitoire si la confrontation de 2012 est entre nous.


François Hollande,
la life

1958_François Gérard Hollande naît à Rouen, puis grandit à Neuilly (lycée Pasteur). Bonne bourgeoisie.
1978_Il gagne les élections… à l’ENA. Le directeur de l’école: «Vous êtes la taupe d’une puissance étrangère.»
1981_A 27 ans, il affronte Chirac sur ses terres en Corrèze. Battu mais crédité de 27% des voix.
1983_Sous les ordres de Jean-Louis Bianco à l’Elysée, il devient l’agent traitant d’une jeune association: SOS Racisme
1988_Elu député de Tulle, il paume son mandat en 1993 et prend la présidence du «Club témoin» de Jacques Delors.
2002_Après la sortie de route Lionel Jospin, il prend le volant du PS.
2006_Face à la «Ségomania», il laisse la voie libre à sa compagne pour la présidentielle.
2007_Le soir des élections législatives, bye bye Ségolène.
2010_Pour se préparer aux primaires du PS et à la présidentielle, il arrête les frites et la mousse au chocolat.
2011_Il fait marrer Ségolène à la convention de ratification du projet PS. Et pourtant, c’était pas gagné.



Entretien Olivier Malnuit
Photos Thomas Laisné

Technikart 255 Hollande