GEN ZÉRO TRACAS

GENZ 0 tracas

Tous les tracas du monde glisseraient-ils sur la tête des Gen Z comme de l’eau sur un canard ? Nonchalance stylée, désillusion contrôlée, pragmatisme décomplexé… Et s’ils avaient raison de se moquer de la fin du monde ?

Légende photo : CALME, TROP CALME ?_ Pour sa campagne SS23, Acne Studio met en scène la mannequin américaine Devon Aoki, photographiée par Carlijn Jacobs, allongée et détendue sur ses draps de soie rose. Keep it (really) cool ?

« Je ne vais pas continuer à trier les déchets alors qu’on me promet la fin du monde pile pour ma pré-retraite », balance semi-ironiquement un pote l’autre soir en plein apéro, avec en fond sonore la guerre en 4K à la télé. Macron et ses dents pointues, la Russie, les agressions, Darmanin, la flambée du prix des Velouté fruix… Le raisonnement paraît platement nihiliste : tout fout le camp, alors à quoi bon ? Mais derrière ce scepticisme moral, se dévoile peut-être un autre pan de la génération Z, plus discret et moins tapageur que celui exhibé par leurs camarades plus militants et engagés : un détachement frôlant l’optimisme.

« La Gen Z n’est pas homogène, rappelle Jasmine Manet, 26 ans et directrice de Youth Forever (une asso destinée à aider les jeunes à s’orienter et à « se faire entendre »). Les Greta, les militants extrêmes de Dernière rénovation, les bifurqueurs et les déserteurs, ne représentent qu’une infime partie de cette génération. Mais comme on a braqué les projecteurs sur eux, on se focalise sur ce récit-là ». Dans les faits, ces vingtenaires, loin d’être de mauvais bougres vendus au grand capital, ne se reconnaissent pas pour autant dans les combats du moment. Et certains, faute de mieux, adoptent une forme d’ignorance volontaire pour éviter de se faire happer par le flot des inquiétudes quotidiennes.

GÉNÉRATION PÉPÈRE

Lendemain d’apéro, gueule de bois jusqu’aux orteilles et jéroboam d’eau à la main, je réalise qu’il m’arrive aussi d’adopter ce qu’on appelle la « stratégie de l’autruche » : cette tendance à mettre le monde en mute pour protéger sa santé mentale (à pratiquer avec modération, ndlr). Exemple ? On peut être touché par les questions sociales (la pollution de l’eau par Total Énergies au Yémen…) et les questions écologiques (l’autoroute A69, le glyphosate, etc.), tout en se réservant le droit d’adopter une posture stoïque (l’homme retranché dans sa « citadelle intérieure »). En gros, penser à nourrir son Angora turc le matin avant d’élaborer un plan pour sauver l’humanité.

Sur France inter, l’humoriste Jérémy Nadeau en fait l’objet d’une chronique, « L’ignorance comme thérapie ». Il explique : « Depuis que j’ai arrêté de savoir ce qu’il se passe dans le monde, tout va mieux ». Sur Insta, ce sont effectivement les comiques qui en parlent le mieux : à l’angoisse environnante, ils répondent par un relativisme goguenard. L’humoriste Louis Chappey (@louischappey) fait partie de cette clique.  Selon lui, « il faut arrêter avec le narcissisme d’époque. Quand on dit qu’on vit la pire période de l’humanité, on manque de respect à l’histoire. » Toute proportion gardée, c’est aussi un appel à calmer ses ardeurs de Captain Citoyen du Monde.

Alors, génération plus pépère ? Selon Jasmine Manet, « il faut aussi garder à l’esprit que ça arrange les instances politiques et les générations précédentes de mettre sur le dos de la jeune génération l’énorme pression de sauver le monde, ça leur permet de se déresponsabiliser ». Cela étant dit, notre vingtenaire en profite aussi pour rappeler un autre aspect de la Gen Z, c’est-à-dire la profonde mutation de leur mentalité : « Ils ont adopté depuis longtemps des réflexes moins rock, plus prudents et ont tendance à délaisser les comportements à risque – drogue, alcool, etc. ». Mais si pour certains une posture philosophi-cool permet de répondre à cette pression politique et sociale, pour d’autres, elle ne suffit pas.

DELULU IS THE SOLULU

Sur Tiktok, une partie de la Gen Z considère carrément que la réalité nous met des battons dans les roues et qu’il est nécessaire de l’altérer pour y survivre. Canal d’expression idéal, le réseau social permet par nature de garder le meilleur de la mondialisation (partager les mêmes sujets qu’avec Jian, citoyen coréen), tout en retrouvant un mode de vie tribal, « un petit noeud de communauté, grâce auquel tu arrives à canaliser tes émotions », poursuit Jasmine Manet. Et la catharsis fonctionne. En témoigne Sabrina Bahsoon, aka Tube girl, la Tiktokeuse qui transforme son embarras en force en dansant dans le métro de manière gênante mais très confiante. Dans la description de ses vidéos, on trouve une explication à sa sur-confiance contagieuse : « being delulu is the solulu », (être délusionnel est la solution). Un concept viral devenu un mantra pour à peu près tout. Les communautés ultra-créatives sur TikTok incarnent alors ce que le philosophe Jean Baudrillard appelait l’hyperréalité, c’est-à-dire apporter une amélioration fictive à sa réalité. Comme dans Pimp My Ride, sauf que c’est toute sa vie qu’on décide de retaper, de façon ostentatoire et assumée. Vous l’aurez compris, vous pouvez mettre en avant une attitude désengagée, voire aquoiboniste, face à la marche du monde – mais choisissez bien votre filtre Insta.

 

Par Jean-Baptiste Chiara