FAUT-IL INTERDIRE LE POKE-BOWL ?

poke bowl interdit

Vous rêvez de payer dix-sept euros pour un vague assemblage avocat-saumon fumé dans un céramique importé Sifnos ? Le tout servi par un serveur à man-bun ? Alors, passez votre chemin…

Un « Poke » Bowl se prononce traditionnellement « Pokai » et non pas Poke. Il est sinon rapide de le confondre avec cette ancestrale technique de drague/harcèlement amical développée par Facebook qui, contrairement au plat des îles d’Hawaï, n’a jamais remporté un franc succès. Ce repas sur le pouce, le pêcheur des îles Sandwich y a droit après avoir éviscéré ses poissons, ôté les arrêtes et la peau (à la sueur de son front ). La dernière étape consistant à les découper en cubes. L’assaisonnement était plus classique, quelques algues restées coincées dans le maillot de bain, des fruits locaux et un peu de sel de mer gratté le long du littoral. 

En France, on y a droit depuis 2016, et aujourd’hui ce sont pas moins de 300 lieux qui proposent la dégustation du bowl magique, rien qu’à Paris. Même les restos plus traditionnels se plient à cette tendance. Il est désormais possible de commander un poke-bowl et un os à moelle sur une nappe Vichy en terrasse. Le désamour de la brasserie serait-il uniquement dû à la lassitude de la salade Caesar ? À l’anxiété de se retrouver coincé entre Charlotte et Fabien sur la banquette lorsque le débat « vaccin pas vaccin» va jaillir, juste avant la commande des cafés gourmands ? Sommes-nous réellement préservés du small talk dans la file d’attente de 30 minutes devant SuperPoke3000 ? Une rumeur court : les salons de coiffure fileraient des tips aux jeunes start-uppers – qui ont hésité entre l’ouverture d’un CBD shop et le Poke shop – pour leur invention des meilleurs jeux de mots à associer au mot « Poke ».


ATOUTS D’UN FAST-FOOD 

Le poke-bowl dans son carton humide, c’est surtout l’assurance sécurisante de pouvoir le manger sur son bureau en matant le dernier épisode de Succession, avant la reprise des hostilités. C’est presque comme être à la maison, sauf qu’on a dû remettre un pantalon. Chez soi, le repas pouvait rapidement être une nectarine ou un toast de rillettes de thon. On se dit qu’on se fait quand même plus de bien avec l’arc en ciel saumon-betterave-carotte-cacahuète. L’impression de prendre soin de soi, à mi-chemin entre le laisser-aller du boulot en distanciel et la tenue minimum qu’on souhaite conserver. Est-ce grâce à la présence des mots « Yuzu » ou « Gingembre » que ce grand bol de riz donne l’impression à son client d’être une meilleure personne que son collègue et sa salade Monoprix ? Tout consommateur de gingembre était déjà considéré avec davantage de respect qu’un autre. Le poke bowl a les atouts d’un fast food (un fast food localisé en Suisse si on en croit les prix) sans la culpabilité de faire pleurer son foie. Mais sait-on d’où provient cette mangue en plein mois de février ? Pas plus que la fabrication d’un nuggets (enfin si… ça, on sait justement !). La vraie classe, finalement, est-ce que ça ne serait pas d’arriver au bureau avec son poke-bowl maison dans un lunch-box ? « Tu n’as pas mis de framboises dans ton Poke, Laurent ? » Et de pouvoir répondre fièrement « Ah bah non, les framboises, c’est pas la saison ! ».

 

Par Alice Reverend