DE QUOI LA CHASSE AUX WOKE EST-ELLE LE NOM ?

woke

Chaque semaine, le Fig Mag et le JDD se tirent la bourre : lequel trouvera le plus de raisons de dézinguer l’ultra-politiquement correct ? L’économiste le moins réac’ de France mène l’enquête.

Légende photo : LES EXPENDABLES_ Samuel Fitoussi (Fig Mag), Éric et Geoffroy (pilliers du nouveau JDD) sont aussi obsédés par les wokes que nous par le hip hop de Chicago.

Le terme « Woke » est de plus en plus présent dans le langage commun. Bien que relativement peu de personnes puissent réellement le définir, il est perçu de plus en plus comme une menace par l’extrême droite, la droite, le centre et une partie de gens se définissant comme sociaux-démocrates, bien qu’il faille aller chercher très loin la partie sociale de leur engagement (une partie des sociaux-démocrates ayant souvent défendu la réforme du marché du travail et celle des retraites). Pour faire simple et court, le terme « woke » (qui veut dire en français « se réveiller ») vient des États-Unis et plus particulièrement des militants contre les discriminations faites à la communauté noire et les violences policières. Dans son utilisation, il s’est étendu depuis aux combats pour l’égalité homme-femme et aux luttes contre le réchauffement climatique.

Les soi-disant « wokes » sont jeunes et révoltés, ce qui déplaît forcément aux nantis, souvent des conservateurs plutôt vieux, qui voient leurs revendications comme autant de remise en question de leurs privilèges. Il faut bien comprendre que ceux qui sont en position de force ont intérêt au statu quo ou à des changements purement cosmétiques. Quel intérêt ont-ils à remettre en cause un système qui les arrange ? Or, une grande partie de la jeunesse, y compris ceux qui avaient toutes les cartes en mains pour être les gagnants du système, à savoir de beaux diplômes et un fort patrimoine culturel, demande un bouleversement en profondeur de notre société. Ils veulent un rééquilibrage dans les rapports hommes-femmes, une meilleure intégration et représentation des minorités dans la société, une répartition plus équitable entre temps de travail et de loisir, et, enfin, une meilleure prise en compte de la question du réchauffement climatique. En fait, dans le terme « woke », on peut y mettre tous ceux qui sont contre les méfaits du statu quo et demandent des changements radicaux, et par là même, en un seul mot, les disqualifier. À écouter ceux qui sont en guerre contre le wokisme, seules les personnes qui ne veulent rien changer ou ceux qui veulent opérer des changements à la marge (donc qualifiés de raisonnables pour les « anti-wokes ») ne sont pas désignées comme woke. On comprend mieux pourquoi le bloc de droite, allant des centristes à l’extrême-droite, a intérêt à agiter une menace wokiste. Cela lui permet avant tout d’éviter les débats de fond. Alors ils agitent des chiffons tel « le danger pour nos valeurs républicaines ». Mais de quoi parlent-ils ? On ne sait toujours pas… Liberté, égalité, fraternité sont des valeurs inscrites sur toutes les mairies. Les soi-disant « wokes » n’aspirent-ils pas à une société plus égalitaire et fraternelle ?

JEUNESSE DOCILE

Au même titre que le « gauchisme », qui aurait envahi l’université, le wokisme est devenu pour l’ordre établi un mal à combattre. Mais, comme le gauchisme, les contours de ce terme sont au mieux flous, voire quasiment inexistants (personne ne se revendique du courant wokiste). Il semble d’abord être une arme pour décrédibiliser ceux qui portent un certain nombre de revendications plutôt que de devoir y répondre sur le fond. Mais derrière ce combat, dont certains sont à la pointe, il y a surtout les symptômes d’une société française qui vieillit et qui refuse d’entendre ce que veut sa jeunesse. Des « boomers » qui refusent de passer le relais et rêvent d’une jeunesse docile. En réalité, la chasse au « woke » est d’abord une chasse aux jeunes. Un refus de la part des anciens d’assumer le procès qui leur est fait par la jeunesse sur le monde qu’ils leur ont laissé. Un procès nécessaire pour aller de l’avant.

Par Thomas Porcher