ALEXANDRE LACARRÉ, LE BOSS DU CBD : « FUME, C’EST DU LÉGAL ! »

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Surnommé le « plus grand dealer d’Europe », le fondateur de phytocann a révolutionné le business du cannabidiol. Installé en Suisse, cet entrepreneur coriace poursuit son combat : Légaliser un jour le cannabis et dédiaboliser le cbd, produit potentiellement créateur d’emplois et de richesse en France. Rencontre avec un activiste d’un genre nouveau.

À 33 ans, ce père de famille est surnommé « le plus gros dealer d’Europe » par CBD Actu. Alexandre Lacarré gère Phytocann, la boîte suisse du CBD – qui manufacture, commercialise et distribue le cannabidiol sous toutes ses formes (fleurs, infusions, brownies…). Nous le retrouvons chez lui, près de Montreux, au milieu de son hectare de plantations sous serres, pour une masterclass de ce que pourra être le marché du CBD au cours des années à venir… Il nous propose également de goûter ses produits : « Fume, c’est du légal ». Avec grand plaisir.  

Tu as fondé Phytocann en 2017. À l’époque, quel était le marché possible pour le CBD ?
Alexandre Lacarré : À l’époque, on me disait que c’était un effet de mode, que ça n’allait durer que six mois, que j’étais fou de me lancer là-dedans… On trouvait déjà de la fleur légale à fumer en Suisse, dans des tabacs, et depuis, beaucoup de gens y ont trouvé un apaisement pour dormir ou pour gérer leur stress… Sachant qu’il y a différentes façons d’utiliser le CBD : sur la peau pour des brûlures, pour des tensions au niveau des articulations…

Et notre usage à nous, fumeurs de CBD ?
Ah ah, oui, la partie fumette terrorise pas mal la France ! Déjà, il faut savoir que c’est bien mieux de fumer du CBD que du tabac. Ça permet à beaucoup de gens de se sevrer du THC (la molécule psychoactive du cannabis). Et ils sont nombreux à avoir ainsi trouvé une manière de vivre leur sobriété plus facilement.

Ta production ici (à Ollon, près de Montreux) représente combien de tonnes par an ?
Cette qualité indoor (mode de culture en intérieur, ndlr), c’est cinq tonnes par an.

Et pourquoi cultiver en serre ?
C’est notre manière de cultiver le CBD en permaculture, ce qui permet d’avoir des arômes qui sont beaucoup plus développés que sur d’autres types de culture indoor, comme avec du substrat de coco et de l’alimentaire minéral. Ça se ressent énormément sur la qualité du produit final.

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AU VERT_
Dubitatif sur l’évolution de la législation en France, Alexandre n’en reste pas moins déterminé à faire bouger les choses et à conserver le leadership de ce marché naissant.


C’est important de cultiver le CBD de manière naturelle ?
Oui, autant privilégier une manière organique et naturelle. Tous les apports sont des oligo-éléments naturels issus de plantes, de champignons, de thé, de compost. Rien ne se perd, tout se transforme, tout est réutilisé pour créer un cycle. La permaculture recrée un environnement dans l’environnement. 

Un hectare de culture en serre, c’est énorme : 2500 lampes de 1000 watts, tous ces panneaux couvrants…
C’est pour pouvoir cultiver toute l’année. L’installation est automatisée, mais pas la culture. Il y a beaucoup de manutention pour arriver au produit final, et un second processus après la récolte.

Tu maîtrises toute la chaîne ?
Oui, on s’efforce d’être dans une logique de traçabilité. On tient la production, la manufacture, on a un bureau au Luxembourg pour les envois en Europe, on a un bureau à Marseille… Mais le problème posé par le CBD en France, c’est qu’il n’y a pas de marque d’envergure implantée dans le pays. Alors qu’aux États-Unis, il existe de vraies marques pour chaque segment. 

Dans les années 1990, les Suisses produisaient déjà des pots-pourris d’herbe pour le bain. Le pays est en avance sur les Français… 
Dernièrement, le Parlement suisse a voté pour une libéralisation du cannabis, donc du THC. Ça va prendre du temps à se mettre en place, peut-être un an ou deux. Mais la volonté ici est néanmoins de légaliser le THC, le cannabis récréatif, pas seulement médical.

Énorme ! La Suisse devient la Californie d’Europe. Pour toi, c’est le jackpot ? 
Oui et non. Pour moi, le marché du CBD est plus important que celui du THC. Avec les produits à base de CBD, tu peux rayonner dans le monde. Par exemple, dans le domaine de la cosmétique, le « fabriqué en France à base de CBD » représente un marché colossal en Asie. 
 

« LA FRANCE RESTE LE PLUS GROS MARCHÉ DE CBD EN EUROPE. »

 

On parle beaucoup de CBD en ce moment…
Mais pas assez de la plante en elle-même. Elle contient plus de 470 différents cannabinoïdes, comme le CBG (cannabigerol, molécule non psychotrope présente en faible quantité dans le cannabis), le CBN (molécule non psychotrope issu de la molécule de THC)… Même si on parle de THC, on voit qu’aujourd’hui, aux États-Unis, que ce soit utilisé de manière récréative ou médicale, ce n’est pas une drogue dure. Il faut dédramatiser tout cet imbroglio autour de la plante de cannabis. 

En mai dernier, tu avais annoncé ton entrée en bourse. Qu’en est-il ?
C’est compliqué de faire une entrée directe, ce sera plutôt en milieu de cette année. Vu la mauvaise volonté du gouvernement français sur tout ce qui est CBD et fleur de cannabis, il vaudrait mieux d’abord faire une entrée en bourse à l’étranger… 

Le fait d’être un producteur de CBD, c’est perçu comment aujourd’hui ?
Pour les comptes bancaires, l’ouverture de sociétés, la vente en ligne, tout est extrêmement compliqué. Les gens sont encore méfiants…

Même avec les huit entreprises du groupe Phytocann ? Avec le poids financier que ça représente ?
Quand tu entres dans une banque, à moins de faire des centaines de millions par an – ce qui n’est pas encore notre cas ! – tu restes un client. Ils ne vont pas risquer leur réputation parce que ton activité est encore dans une sorte de zone grise. Globalement, nous sommes freinés par les institutions, les douanes, l’import-export, les banques, la distribution…

C’est le propre des pionniers.
Sûrement ! Il faut se battre, c’est-à-dire aller devant les tribunaux pour que ces produits puissent, comme aux États-Unis aujourd’hui, circuler librement.

Le marché français est-il le plus gros marché pour vous ?
Oui, ça reste le plus gros marché de CBD en Europe, avec la fleur occupant 60 % des ventes.

Et comment se passe la distribution en France ? 
On commence à gagner du terrain ; aujourd’hui, on est disponible dans environ 2000 tabacs. On s’attaque désormais à la grande distribution et à l’ouverture de nos propres magasins Phytocann.

Tu parlais d’en ouvrir une centaine d’ici la fin de l’année. 
On a une quinzaine d’ouvertures prévues pour les prochains mois. Certains ont fait le choix d’enchaîner les franchises en privilégiant la quantité à la qualité. De notre côté, nous préférons prendre notre temps, sélectionner les bonnes personnes pour qu’elles respectent aussi l’image du groupe et la traçabilité, la qualité des produits – plutôt que d’ouvrir une boutique par semaine. Je connais trois ou quatre acteurs en France qui ont plus de cent boutiques, mais sincèrement, elles ne font pas rêver (rires).

Alors que pour ouvrir une boutique franchisée Phytocann, il n’y a pas de droit d’entrée, pas de redevances, contrairement à la plupart des concurrents. C’est une manière de…
De donner l’accessibilité.
 

« LE BUT, C’EST DE DEVENIR LE APPLE DU CBD. »

 

C’est votre côté social ?
Notre politique générale veut donner à tout le monde une chance de se lancer dans cette industrie. L’argent est souvent un frein, surtout pour miser sur la qualité. Certains vont demander 20 000 euros de droit d’entrée, mais voilà, t’es pas McDonald’s… À mon sens, c’est un peu du vol. Je préfère que les gens ne demandent pas de droit d’entrée, mais qu’il y ait 20 000 euros investis dans l’aménagement de la boutique, pour respecter notre image, et rassurer les gens. Le but c’est un peu de devenir le Apple du CBD.

Les laboratoires pharmaceutiques investissent dans le CBD, eux aussi. 
Oui, Pfizer a investi 6,5 milliards d’euros. Parce que c’est un domaine qui a du potentiel.

Certaines études évoquent le CBD pour combattre le virus du Covid…
La question a été soulevée, oui. Si, pour certains, c’est un argument marketing, de nombreux chercheurs se sont pour leur part penchés sur les différents effets des cannabinoïdes. On en a pour 50 ou 100 ans de recherches devant nous. Au-delà du Covid-19, on a déjà observé que ces molécules peuvent être efficaces, dans une certaine mesure, pour des soins curatifs ou palliatifs, pour certains cancers, des problèmes de peau, comme le psoriasis ou l’eczéma. 

Tu parlais du marché français pour 2022, mais pour le reste de l’Europe ?
Jusqu’à maintenant, on n’avait pas vraiment lancé les autres marques, on s’était surtout concentré sur la vente des fleurs. Ces nouvelles entités dé-corrélées de la fumette nous ouvrent de nouvelles possibilités et facilitent notre implantation un peu partout.

En parlant de vos marques, justement : une de cosmétique, l’autre d’huile… À chacune sa spécialité ? 
Toutes nos marques sont sectorisées car ce ne sont pas les mêmes consommateurs qui vont consommer de l’huile, des gummies au CBD (bonbons gélifiés, ndlr), de la résine, de la fleur… On a de tout : Ivory, notre première marque, lancée en 2017, avec laquelle on fait du « smokable » primaire (fleurs, résine, CBD premium), puis Easy Weed, la même chose en plus compétitif, avec des prix cassés. 

Un genre de low-cost de la weed ?
Exactement. Ensuite, on a  Kanolia, notre marque de cosmétique (crèmes, huiles de massage, lait de toilette, crème nuit, crème jour) ; Harvest Laboratoire, notre laboratoire pour les huiles et les gummies ; Buddies, notre marque grande distribution avec toute une gamme food & beverage (lifestyle, bonbons, boissons, cookies) ; puis notre banque de graines de cannabis de variété THC (aux effets psychotropes, ndlr),   Silent Seed. Il faut savoir que les graines, c’est toujours une zone grise, un peu comme le CBD. Ce sont des graines de collection, dites « objet de collection ». Dans ce milieu là, il y a des gens très connus comme Barney’s farm, Sensiseed, DutchPassion… Nous, on a lancé Silent Seed.

Vous avez collaboré avec Dinafem (banque de graines de cannabis) pour une des variétés…
Oui, j’ai monté ma banque de graines SilentSeed avec des anciens de Dinafem. On a créé une variété, la DinamedKush. Dans le milieu, c’est intéressant de faire des partenariats, c’est comme la ligne lancée par Louis Vuitton en collab’ avec Suprême. Après, on a Herboristerie Alexandra, des thés et des infusions au CBD – nous avons beaucoup de demandes. Et enfin, Cannabox, des machines automatiques de vente.  

Cette diversité fait votre force, en fin de compte.
C’est le seul moyen pour l’instant de pouvoir continuer d’avancer. En tout, nous n’avons que deux marques avec des produits à fumer, de la fleur ou de la résine et des choses comme ça. Tout le reste n’a rien à voir avec le milieu du smokable. 

Quelle est la prochaine étape pour Phytocann ?
Pour 2022, c’est principalement l’expansion de nos sept marques, avec différentes industries comme la cosmétique, les huiles, la banque de graine… Le but est de déployer nos produits en Europe et à l’international.

L’arrêté du 5 janvier au Portugal et en Italie (qui vise à contraindre la production et l’exploitation des fleurs de CBD) montre que la fleur de CBD pose un problème à l’échelle de l’Europe. 
L’arrêté qui est sorti en Italie, j’en ai parlé avec des acteurs locaux de la filière, ça ne change rien dans le fait. Apparemment, il y a des parades, ça ne tient pas. Il y a des licences de productions de THC au Portugal, il faut le savoir. Du THC médical. En termes de développement, la question c’est à quoi bon augmenter sa production avec un gouvernement qui en interdit la vente ? Mais les gens vont être poursuivis pour quel motif ? Au tribunal, le procureur va dire quoi ? Le commerce d’un produit interdit, qu’est-ce que ça a à voir avec le pénal ? Je comprends pas là ? Ils vont t’envoyer au placard pour ça ? Depuis deux ans, ils n’ont mis personne au placard pour le CBD. Même pour le taux de THC, la plupart des fleurs en France sont entre 0,3 et 0,6 %. Les procureurs ont d’autres choses à faire.

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AU CALME_
Après avoir créé ses huit marques de produits dérivés au CBD, Alexandre Lacarré songe déjà à sa prochaine création…


Tu penses que cette situation peut avoir un effet positive sur la filière ? Fédérer ses acteurs, mobiliser des moyens pour faire avancer la législation ?
Mais tu parles de quoi ?! OK, il y a des pétitions avec des dizaines de milliers de signatures, mais tu crois que ce gouvernement en a quelque chose à foutre ? C’est comme si tu parles de légalisation du cannabis : combien de personnes signeraient pour un usage récréatif légalisé comme en Espagne ou au Pays-Bas ? Combien de millions ? Pendant ce temps, il y a des milliers de morts dûs à l’alcoolisme ou au tabac… Ce qui ne pose aucun problème. Sachant que les plus grosses recettes de l’État se font par des taxes sur ces deux produits. 

Ta lecture de la situation ?
Je pense que si ce gouvernement français mettait autant d’énergie et de bonne volonté à arrêter le marché noir du THC au lieu de s’en prendre à nous, il y aurait moins de tonnes de drogues qui circuleraient en France. 

Tu trouves le gouvernement hypocrite ?
À fond ! Il est avéré que fumer du CBD est moins nocif pour le système nerveux que fumer du THC, et 20 millions de fois moins nocif que de fumer la cigarette… Le CBD, ça a déjà tué quelqu’un ? Non, ça ne tue pas. Mais ils ont grand plaisir à dire que cette année, la France a récolté 9 milliards d’euros avec les taxes sur le tabac. 

Tu voudrais mettre en avant les arguments économiques pour la filière CBD ?
Je voudrais qu’ils les mettent en avant, eux ! Pourquoi condamner une filière qui représente plus de 2000 points de commerce sans compter les tabacs, et plus de 10 000 emplois sur le territoire, le tout à quelques semaines d’une présidentielle ? Ils vont à l’encontre de la loi européenne et du Conseil constitutionnel.

Les solutions que tu proposes pour sortir de cette impasse ? 
On développe le e-commerce. Car ce que les gens ne pourront plus trouver dans les boutiques, ils pourront le trouver sur internet ; c’est déjà le cas pour beaucoup d’entre eux.

Quand il y a un arrêté, comme on a vu dernièrement, ce sont des lobbys financiers derrière ? Ou des considérations de santé publique ?
Les représentants du gouvernement sont les plus gros lobbyistes financiers. Face aux lobbys, la France devient la plus grande république bananière du monde (rires) ! 

Avec ton statut de « plus gros dealer de CBD d’Europe », tu n’as pu rien faire ? 
Mais ça ne sert à rien quand tu vois comment ça fonctionne. Dans le cas présent, ceux qui ont aidé à rédiger cet arrêté ont des intérêt à ce que tous les shops ferment pour faire un monopole entre copains. Et c’est tout le pays qui est comme ça, pour n’importe quelle industrie. Ce n’est pas qu’une question de CBD. 

Et la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) dans tout ça ?
Elle a un gros intérêt à ce que tous les CBD-shops soient fermés pour potentiellement faire comme en Belgique : la fleur taxée comme le tabac vu qu’elle peut être fumée, donc qui va récupérer tout le bizness ? Les tabacs, et avec une licence comme le tabac. Ils sont en train de s’organiser pour tuer la filière et la faire renaître entre copains. C’est catastrophique. J’essaie de peser mes mots, de rester calme. 

Si jamais ceux qui souhaitent une interdiction réussissent, que crains-tu ?
Qu’ils créent plus d’inégalité, avec des dealers de CBD, comme s’il y en avait déjà pas assez des dealers, entre la coke, le crack, le shit et le reste. Maintenant, ils veulent qu’il y ait des dealers de CBD ! Quelle prévention là-dedans ? Ils parlent de santé publique mais ne savent même pas différencier le produit. Nous en Suisse, on a plus de quatre ans de recul sur les consommateurs. Ça a permis aux gens de se sevrer du THC. Pourquoi l’interdire alors ? Pas besoin de se poser trop de questions…

La suite ? 
En marche… vers la légalisation !  

www.phytocannswiss.com 

Entretien Julio Rémila
Photos Anaël Boulay