TECHNICANNES #8 : LES HOMMES QUI HAÏSSENT LES FEMMES

Les nuits de Mashhad

La Nuit du 12, Men et Les Nuits de Mashhad : trois films de genre sur la masculinité toxique. Et une rencontre avec la comédienne Zahar Amir Ebrahimi.

Harassements, agressions, viols, féminicides… Alors que les violences faites aux femmes se révèlent chaque jour plus insupportables, trois films de Cannes prennent le problème à bras le corps, trois films de genre – deux thrillers et un film d’horreur  – venus de France, d’Iran et d’Angleterre.

La nuit du 12 est une des révélations de Cannes, un polar sombre, suffocant et vertigineux où deux flics tentent de retrouver l’assassin d’une jeune femme brûlée vive dans la banlieue de Grenoble. Une affaire, on l’apprend dès le carton de générique, qui ne sera pas résolue. Le film commence un polar de série, avec enquête, interrogatoires des suspects, rebondissements, mais bientôt Dominik Moll et son scénariste Gilles Marchand font un pas de côté. Jusqu’à cette scène glaçante où la meilleure amie de la défunte déclare aux flics : « Vous cherchez pourquoi Clara été tuée ? Parce que c’était une fille, c’est tout. » On comprend alors que TOUS les suspects sont issus d’une culture machiste de la violence, TOUS sont des hommes qui haïssent les femmes, que TOUS pourraient être le tueur… Le film fonce, l’atmosphère devient de plus en plus irrespirable, Bastien Bouillon et Bouli Lanners forment un duo de flics ahurissants de vérité et le film se termine en laissant au spectateur un goût de cendres dans la bouche.

HORREUR ET IRAN

Avec Men, Alex Garland, scénariste de Danny Boyle, réalisateur d’Ex-Machina et de la série télé Devs, s’offre un film d’horreur avec scènes chocs et purs moments de terreur. Et décrit la descente aux enfers d’une femme, ébranlée par le suicide de son fiancé toxique, qui part se mettre au vert dans la campagne britannique. Sauf qu’elle va bientôt être persécutée par plusieurs villageois, qui ont tous la tête de l’acteur Rory Kinnear. Le même visage du patriarcat ? Garland accumule les scènes anxiogènes, jusqu’à un final gore anthologique, une série d’accouchements masculins qui semblent ne jamais s’arrêter. Comme la reproduction ad vitam aeternam de la masculinité toxique ?

Les nuits de Mashhad (Holy Spider) est le nouveau film d’Ali Abbasi, réalisateur du stupéfiant Border, où il était question d’humanité, d’animalité et de trolls. Il revient sur la Croisette avec un thriller organique, basé sur l’histoire vraie d’un serial killer, fou de dieu, qui au début des années 2000, s’était juré de débarrasser les rues de la ville sainte de Mashhad des prostituées et de mener le djihad contre le vice. Dans le film, une journaliste, incarnée par l’excellente Zahar Amir Ebrahimi, se lance à la poursuite du tueur, qui continue le massacre dans l’indifférence générale et peut-être même avec la bienveillance des autorités. « C’est un film sur une société de serial killers », assure le metteur en scène qui a dû tourner en Jordanie, et pointe sa caméra sur un pays malade, où l’auteur de 16 féminicides se voit soutenu par une partie de la population et considéré comme un saint… Choc.

La nuit du 12 de Dominik Moll
Sortie le 13 juillet

Men d’Alex Garland
Sortie le 8 juin

Les Nuits de Mashhad d’Ali Abbasi
Sortie le 13 juillet

 

ITV EXPRESS : « J’AI MIS TOUTE MA VIE DANS CE FILM »

Dans Les Nuits de Mashhad, Zahar Amir Ebrahimi incarne une journaliste iranienne à la poursuite d’un tueur de femmes, dans un pays ravagé par la misogynie. 

Vous avez tourné Les Nuits de Mashhad en Jordanie, c’était impossible en Iran ? 
Zahar Amir Ebrahimi : Le réalisateur Ali Abbasi a essayé il y a quatre ou cinq ans. Il a cherché son casting, fait des repérages, il a même eu un coproducteur iranien. Il a envoyé le scénario au ministère de la culture, qui n’a pas dit non, mais il n’a pas eu de réponse. De toute façon, il n’aurait jamais pu tourner son scénario tel quel là-bas…

Les féminicides semblent institutionnalisés et le réalisateur évoque une « société de serial killers ». 
C’est un société patriarcale, misogyne. Je pense que si il y a un jour une révolution en Iran, ce sera une révolution féminine. Le film ne parle pas d’un serial killer classique, mais comment différentes femmes iraniennes – des prostituées, une journaliste ou l’épouse du tueur – sont traitées dans ce pays. La violence du film est choquante, graphique, et Ali voulait la montrer en gros plan, plein cadre. Vous savez, j’ai assisté à plusieurs projections publiques. Je vois des femmes touchées, qui ne peuvent plus parler, tandis que les hommes assurent que le film est atroce, exagéré. Je pense que les femmes comprennent intimement le sujet. Il faut vraiment montrer la violence pour faire comprendre à quelle point la situation est grave.

Vous vivez en France depuis quelques années. Pensez-vous que les femmes européennes vivent aussi sous domination masculine ? 
(Elle hésite). Je vois toutes ces histoires de violences faites aux femmes, ces femmes battues, les féminicides à la télé, dans les journaux. Quant à moi, j’ai été plusieurs fois insultée dans mon quartier, à Paris. Même dans le milieu du cinéma, la femme doit se battre pour être l’égale d’un homme. Ça change doucement grâce à MeToo… 

C’est important Cannes pour vous ?
J’ai mis toute ma vie dans ce film. J’ai commencé comme directrice de casting sur ce projet, j’ai été impliqué comme productrice associée puis j’ai finalement été engagée comme actrice principale, un hasard total. Après toutes ces années en France (elle a dû fuir son pays il y a quinze ans après qu’une vidéo intime d’elle et de son fiancé de l’époque a atterri sur internet, NDR), et tous mes efforts pour reprendre la cinéma et retrouver une carrière, se retrouver sur les Marches avec ma belle robe, c’était très émouvant (elle s’arrête, visiblement très émue, NDR). 

Vous pensez qu’il vous sera possible de retourner un jour en Iran ?
Avec ce gouvernement, jamais ! 

 

LA PHRASE DU JOUR

« En Amérique, quand on a un drôle d’accent, on est souvent le méchant. »
Mads Mikkelsen en conférence de presse


Par Marc Godin