KAARIS, KING DE SON CHÂTEAU : « TOUS MATRIXÉS ! »

Kaaris Technikart

Après l’album 2.7.0, paru l’an dernier, le cador de la punchline hardcore revient avec le second volet, Château Noir. Hier, challenger bling, aujourd’hui rappeur assagi (enfin, presque), Kaaris a tout compris à la dématérialisation en cours : « Prends les euros, j’prends les bitcoins… » Interview next-level.  

Début 2013 : coup de tonnerre dans la scène rap française. Avec son flow, à la croisée de NTM et de Nas, et un sens du show bien à lui, un rappeur encore confidentiel explose les stats’ avec un premier album vénéneux. En 17 titres, Or noir impose la présence démentielle et l’univers dark de l’enfant terrible de Sevran. Kaaris est alors âgé de 33 ans. Sa marque de fabrique ? Toujours se montrer avec sa liasse de billets, des kalashs, foutre des Lamborghinis dans ses clips, grillz en diam’s, triple ceinture siglée Hermès, Vuitton et Gucci… Les monogrammes pleuvent, les ventes suivent. 
Printemps 2021 : six albums plus tard, le style Kaaris s’est raffiné, le prosélytisme bling d’antan cédant la place à une allure plus sobre. Le pionnier de la trap à la française se contente désormais d’une iconique paire de lunettes Dior et d’une belle chaîne en argent. Assagi (un peu) et croyant (très), son sens du bling a évolué : il a été l’un des premiers à mettre en scène ses investissements et à vanter l’attractivité du Bitcoin…
Dans les studios du photographe, en cette journée ensoleillée du mois de mars, le «Dozo» et sa team s’installent. Du Lil Wayne en arrière-fond, quelques réglages techniques et les poses s’enchaînent. Alternant regards solaires et sombres, l’artiste à l’allure altière fait place à son alter-ego. Une fois le shoot terminé, la légèreté reprend : quelques tacles, un sens de la répartie de stand-upper et une capacité de star américaine à retenir les prénoms de chaque membre de l’équipe, même les plus compliqués…


Tu te fais appeler Kaaris depuis tes premiers morceaux en 2005. Mais quand on fait des recherches sur Internet, on a du mal à comprendre quel est ton vrai prénom.
Kaaris : Oui, il y a des imbéciles qui s’amusent à modifier ma bio sur Wikipédia, comme mon prénom. Je m’appelle Okou Gnakouri Armand Olivier. Voilà.

Et Kaaris, du coup ?
Depuis 2005. C’est un fait du hasard. J’étais présent sur 2, 3 compiles et, quand je suis arrivé devant le bureau de la SACEM, c’est sorti tout seul. Je pensais à Kaa, le serpent du Livre de la jungle. Ajoute à ça « charisme », tac, ça fait Kaaris.

D’ailleurs, la SACEM, tu sembles la tacler sur « Monte Carlo » (sur 2.7.0.) : « Midi-chloriens dans les veines, j’décrocherai la Sacem lundi. J’claquerai un SMIC dans pull Fendi, j’arracherai la Sacem lundi » 
On parle de l’association à but non lucratif ? Avec son gros bâtiment (sourire ironique) ?  

Depuis dix ans, les rappeurs français créent leurs propres structures pour récupérer un maximum des revenus générés par leur musique. Les Daft Punk étaient allés encore plus loin : dès le début, ils ont refusé de confier la gestion de leurs droits à la SACEM… 
Pas mal ! On y a tous pensé ; ils l’ont fait. Ils avaient tout compris les mecs. Respect. 

Donc ce nom de Kaaris, tu le portes depuis tes 25 ans et ton premier passage à la SACEM. Tu habitais alors à Sevran, dans le quartier de Rougemont, et tu avais déjà sorti plusieurs sons sous le nom de Fresh. 
Et avant tout ça, il y a le départ d’Abidjan quand j’ai trois ans. Une arrivée à la capitale, à Duroc, avec tous mes cousins et cousines. On était huit dans une chambre de bonne avec ma mère. Suivi d’un passage à Taverny et, finalement, Sevran.

Vous écoutiez quoi en famille ?
Ma mère écoutait Pierre Bachelet. Et La Compagnie Créole, à fond ! 

Et toi ?
À 18 ans, en voyage à New-York, je me suis pris la claque musicale de ma vie avec les albums de Nas, de Lil Wayne…

Tu aimais l’image bling des deux ?
J’ai vu la puissance du délire, l’image des jeunes noirs qui ont réussi. Dans ma tête, c’était clair : un jour, ça sera moi.

Tu es retourné aux States huit ans plus tard, en 2016, pour y enregistrer un feat avec Gucci Mane , plutôt bling, lui aussi. 
Oui, à Atlanta. Sur place, j’ai demandé pourquoi les chaînes autour du cou ? Ils m’ont répondu que c’était en référence aux chaînes de l’esclavage, sauf que là, elles sont en or. Les chaînes, pour ne jamais oublier notre Histoire. L’or, pour montrer qu’on s’en est sortis… 

À quel moment t’es-tu rendu compte que tu pourrais gagner ta vie avec la musique ? 
Quand j’ai sorti ma mixtape Z.E.R.O, en 2012. Je l’ai mise en vente et elle m’a rapporté un bon billet. 

Un an plus tard, tu sors Or noir, et là, c’est l’explosion. À ce moment, tu t’offres quoi ? 
Je me suis payée une classe E et je suis parti avec ma mère en vacances. Plutôt simple, non ? 






Et depuis, que représente l’argent pour toi ?
Le plaisir de donner de l’argent à la famille, c’est le must. Ma mère, elle a eu deux rôles, celui du père en plus du sien (le père de Kaaris est mort l’année de sa naissance, ndlr). J’ai un respect éternel pour elle. Elle a pris tout le monde avec elle en partant d’Afrique, on était huit. T’imagines ? 

Ton album sorti l’an dernier, fort en featurings, s’intitule 2.7.0., Sevran (93270), ça reste important pour toi ?
Ça restera toujours mon quartier. Sans lui, je ne suis rien. Et j’en suis resté proche. 

D’ailleurs ton entourage, ce sont les potes de tes débuts. 
On a un adage entre nous : « Pas de nouveaux amis » ! Ceux qui ont une idée derrière la tête, ils sont cramés, on n’en veut pas. Je garde une équipe lourde, composée d’amis de toujours.

C’est ce même raisonnement qui t’a poussé à retrouver Therapy, le producteur d’Or noir (2013) ? Château noir a tout d’un retour aux sources : dark, refus d’autotune, pas le moindre featuring… 
C’est un peu ça. Dès le début, Therapy a drivé le truc. J’ai voulu placer quelques morceaux plus légers, mais pas possible (rires). Mais tous les deux, on avait envie de replonger dans l’ambiance deep du premier.

« QUAND, À 18 ANS, J’AI DÉCOUVERT LES ALBUMS DE NAS ET DE LIL WAYNE, JE ME SUIS DIT : UN JOUR, ÇA SERA MOI. »

 

Et ce qui a changé dans l’industrie 2013 ?
Maintenant, il y a des topliners qui viennent, limite ils te donnent l’instru, la mélodie, t’as juste à poser des paroles dessus et t’as ton son ! On n’a pas encore de ghostwriters, à l’américaine (les grosses pointures US font payer des compositeurs à la séance sans être crédités sur le songwriting, ndlr), mais limite, c’est pour bientôt ! Alors qu’avec Therapy, on ne marche pas comme ça. On est à l’ancienne. Il voulait des sons darks, sans auto-tune, sombres, étiquetés Kaaris. Et sur l’album, j’étais OK pour faire mon radin : aucune collab, juste moi. 

Tu avais bien précisé qu’on n’allait pas « danser la zumba » sur celui-ci… 
Clairement. Tu ne vas pas entendre les sons en club pour t’enjailler ! 

D’ailleurs, c’est assez dur de s’enjailler sur des paroles comme celles de « Akrapovic » : « À Dubaï, leur teucha est lubrifiée, mais le cerveau n’est pas irrigué »
Oui, la phrase m’est venue en regardant une vidéo d’une meuf qui te balance que Dubaï, c’est le paradis : « Tu peux rentrer dans une chambre et repartir avec 5000 balles », disait-elle, toute fière. J’étais choqué, d’où les lyrics.

5000 balles net d’impôt, merci Dubaï. 
Bon, pour elle, c’est de la liasse. Alors, les impôts… 

Tu comprends ceux qui s’exilent pour échapper à la fiscalité française ?
Ici, niveau impôt, ça fait mal, c’est vrai. Après, je ne quitterai jamais mon quartier pour les Émirats… 


Entretien Camille Laurens 
(avec Laurence Rémila)
Photos : Eddy Brière