ACID MACRON TEST

On s’en doutait dès la mi-mars : Manu serait réélu les mains dans les poches (merci Marine et Jean-Luc). Mais comment le supporter cinq ans de plus ? Notre intrépide reporter a une petite idée….

Samedi 2 avril 2022, Paris La Défense Aréna, 14 h 30. J’avais décidé, Dieu sait pour quelle regrettable raison, de me rendre au premier meeting du candidat Macron. On nous promettait du grandiose, du beau, du vrai. Mais, ne supportant plus la moindre déception, je me promets d’y aller avec un atout en poche : une bonne dose de LSD. Un booster cognitif qui me permettra de déployer mes antennes. Feu vert de la rédac, deux mails envoyés et, trois jours plus tard, me voilà en possession des accréds nécessaires et de plusieurs buvards bien dosés. Nous voilà équipés.

Une heure après avoir ingéré un buvard avec Axel, mon assistant sur cette mission, nous arrivons sur place. Le photographe, Flo, qui tirera quelques portraits, est déjà à l’intérieur. Faisant preuve de ce professionnalisme qu’on lui connaît, Flo n’a rien pris : « Tout est ok les gars, la voie est libre. Go ! » L’acide se fait sentir, j’ai l’impression d’aller à l’abattoir. Je vais finir, c’est sûr, en cuir pour bottines chics – du type de celles qui font légion ici. Il faut rester concentré. Je me fraie un chemin au milieu de ce bétail électoral – guidé par des jeunes start-upers brayant dans des porte-voix – afin d’entrer dans cette ferme aux 4000 vaches.

Il est 15 h 30. Après une heure de galère, nous entrons enfin dans le cœur de l’arène. Ça claque, il y a du monde partout, des drapeaux, des lights, des écrans géants au plafond, un bras articulé, des caméras défilant sur des grands câbles… On est dans un flipper géant, mon crâne n’est pas rassuré… Il y a trois tribunes en gradins, un écran de la taille d’un immeuble, et l’énorme plateau central qui nous accueille. Ici se croisent des journalistes, des VIP (enfin, Carole Bouquet, Jean-Pierre Raffarin et Manuel Valls), des membres du gouvernement, des militants de la première heure, des techos, des agents de sécurité, et nous. Notre trip-sitter, Flo, nous rejoint : « Faut aller là-bas, c’est là où ils sont le plus excités. »

Il nous montre la tribune des Jeunes Avec Macron (devenue aujourd’hui la « team ambiance »). On s’y rend au pas de course. S’y trouve une armée d’étudiants en école de commerce venus en découdre. Les plus excités gueulent dans leurs satanés porte-voix : « Qui ne saute pas n’est pas Macron ! » Ces Oompa Loompas macroniens ont-ils tous reçu le même mémo ? Chacun est bien peigné, avec chino trop court, Stan Smith aux pieds, sweat à col rond, tête à la Steve Carell, dents acérées. Ça crie, ça saute, ça grimace. Je ferme les yeux, me plonge dans mon acide intérieur : surgit une bande de macaques foutant le boxon dans un coin du zoo. D’un coup, plusieurs d’entre eux se mettent à se balancer des excréments, tout en hurlant des insanités. Rouvrir les yeux, vite.

Deux zigs passant par là avec des bières me ramènent à la réalité en nous donnant un nouvel objectif : le bar. Avant de filer, à défaut d’une poignée de cacahuètes, je lance à cette bande de macaques dégénérés un doigt d’honneur. Nous atteignons la buvette après avoir traversé une mélasse de costards cintrés, de bottines en cuir, souvent, de regards pesants, toujours, et de futals en velours, parfois. Nos cheveux longs et nos esprits mous tranchent avec la faune endimanchée. La musique est horrible – le responsable s’appelle Worakls, un DJ genre rosé-Saint-Tropez. Arrivés au zinc, on nous fourgue deux bières de 40 cl pour 16 euros… Notre offrande au renouveau de la start-up nation.

LA FONTE DES GLACES

Un animateur genre pastis-Interville interrompt le DJ set – il a une chevalière qui fait un mètre de large – sur l’immense écran plat. Il s’agit de Éric Dagrant, le speaker du XV de France, venu guider aujourd’hui le troupeau : « N’hésitez pas à sortir vos téléphones pour faire des vidéos, n’oubliez pas de marquer #MacronArena, le hashtag qui va bien ! Mais avant, le candidat a un message pour vous. » La salle est plongée dans le noir, le choc cognitif est total.

macron acid
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Notre camarade Houellebecq, qui porte en son cœur tous ceux passés par Bercy (on le laisse libre de ses préférences), nous a demandé de ne pas dire trop de mal de notre Président. Tu nous pardonneras, Michel ?


Une vidéo démarre, des portraits de marcheurs défilent sur une musique inspirante, type vidéo Konbini à propos d’une catastrophe climatique. J’ai l’impression de voir une série de personnes disparues, ces visages souriants semblent paradoxalement crier à l’aide. Puis, comme descendu des cieux, la voix d’Emmanuel Macron vient se poser sur les images de ses adeptes. Il susurre la genèse de son parti comme on scande un psaume. La vidéo se finit sur un patchwork de visages. Celui-ci, une fois dézoomé, laisse apparaître celui du créateur : « Je vous le dis, mes amis, à nouveau, tout commence aujourd’hui. » Les lumières se rallument, c’est la fonte des glaces dans ma tête. Worakls se remet derrière les platines, il va m’achever, qu’on en finisse. Ah tiens, les macaques se remettent à brailler. On est bien. Le type à la bagouze annonce une nouvelle vidéo. Macron apparaît cette fois à l’image pour une rétrospective de son mandat, la victoire de 2017 (il ne prend pas la peine de remercier Hollande et Marine), Emmanuel au G20, Emmanuel sauve Notre-Dame, Emmanuel étripant un gilet jaune, Emmanuel et le pape, Emmanuel sur la lune, Emmanuel torturant un retraité, Emmanuel jouant à la marelle… L’acide me joue peut-être des tours. M. Bagouze reprend la main et nous propose de « vivre un moment magique ».

Les lumières s’éteignent à nouveau, et les gens agitent des bâtons lumineux ou le flash de leur téléphone, une musique type « chien courant au ralenti » nous sert de bande-son. Changement d’ambiance, on se croirait au Nouvel An chinois (c’est Jean-Pierre Raffi qui doit être content), l’expérience sensorielle est démente. Emmanuel Macron va-t-il arriver en chantant « j’aurais voulu être un artiste » habillé en Geisha ? Tout est possible. Après avoir rallumé les lumières et fait chanter une Marseillaise à l’assemblée (pourquoi pas), on nous passe une énième vidéo. Un ramassis de platitudes sur l’entrepreneuriat et l’excellence, prononcé avec une diction parfaite et convaincante. La prod’ est superbe. La vidéo terminée, tout le monde se lève et tend les bras en l’air. On nous demande « un silence de cathédrale », personne ne bouge. J’avais vu le même rituel de domptage dans une réunion d’Extinction Rebellion et j’avais déjà trouvé ça étrange. Étant dans une zone où sont parqués les vieux, j’ai l’impression d’être tombé dans une secte de sado-masos gérontophiles qui entament une séance de yoga tantrique. J’ai connu pire. On enchaîne avec un clap, sa cadence accélère sur une musique de salle de crossfit. Brigitte apparaît sur les écrans, et les yeux des cadres dynamiques se remplissent d’étoiles. Les nôtres se perdent dans la jungle de câbles et de matériel lourd qui s’active au-dessus de nos têtes. Tiens, nos bières sont vides.

LES OTARIES DE LA DÉFENSE

Alors qu’on rallie la buvette, la bagouze géante poursuit son plan machiavélique : soumettre les spectateurs à sa volonté. Sa nouvelle idée : une ola géante (sic). S’il commence avec une première tribune peu réactive, il jette ensuite son dévolu sur les officiels du gouvernement. L’œil alerte, la patte levée, le prédateur s’approche de ses proies. On lit la détresse dans le regard du Premier ministre, entouré de Ferrand, Bayrou, Véran (mais à quoi servent ces gens ?). Le mage à l’anneau les domine depuis la scène. « On va faire une ola gouvernementale ! », lâche ce fou. Déjà bien dressé, le petit groupe s’exécute sans broncher. Je commence à bien aimer ce sportif à bagouze. Fier dompteur, il sort alors quelques poissons du fond de sa poche, et leur jette pour les récompenser. Cette colonie d’otaries, jusque-là restée sage, se rue sur la poiscaille en se mettant des coups de dents. La nature est si brutale. Je ne sais plus si j’ai les yeux ouverts ou fermés.

Après avoir asservi deux autres tribunes, le speaker louftingue se lance un nouveau défi. « On fait tout le tour de la salle en ola ! » Jusqu’où ira la folie de cet homme ? Il est 16 heures passées, l’audience est à bloc, et celui qui assure la deuxième partie du spectacle, notre futur président, est en retard. Puis les lumières s’éteignent, et un décompte de quinze secondes apparaît enfin – le maître des horloges disrupte aussi les comptes à rebours. « 15, 14… 3, 2, 1. » Puis, rien. Pas de Jupiter en vue. Juste une musique épique et des feux de bengale géants qui pètent – comme aux concerts de Rammstein. Une minute après ce décompte, Sir Emmanuel n’est toujours pas là. On a le temps de se demander comment il arrivera… En segway volant, comme le Bouffon vert ? En rappel ? Porté par une troupe de drag-kings ? Le suspens est à son comble.

Ça y est, il apparaît finalement, sorti d’une entrée dans les gradins – et à pied. Sourire impeccable, sacré costard de chez Jonas et Cie., bien peigné… Il a l’attitude d’un trader qui descend, confiant, dans un ring. Mais, à mesure qu’il se rapproche du plateau central, je le vois rapetisser, jusqu’à devenir pratiquement invisible à l’œil nu. Arrivé sur le plateau, son corps minuscule est porté par des militants en extase, sur une musique de plus en plus chevaleresque. Puis, sa tête seule se met à gonfler comme un ballon de baudruche. Sa grosse tête mesure près d’un mètre cinquante de haut, toute lisse. Mais quelqu’un pique dedans avec une aiguille. Paf ! Le ballon éclate, et un Emmanuel Macron tout neuf en sort, qui poursuit son chemin comme si de rien n’était. Je demande à mon assistant de me pincer.

Ayant retrouvé sa taille normale, le trader-catcheur de la République grimpe enfin sur la scène en trottinant poliment. Les flammes s’estompent, la musique s’atténue. Il arrive au pupitre, la salle est bouillante. « Macron président, Macron président ! » Ça va être dur de garder plus de cinq minutes l’attention de ces fanatiques. Leurs récepteurs à sérotonine sont presque aussi à bloc que les nôtres. Il nous salue, nous dit merci, s’arrête, et affiche un regard en demi-sourire qui me fait froid dans le dos. Il pourrait bien décider de nous dévorer tous – ses dents sont, paraît-il, aussi tranchantes que des sabres. Il dévorerait en premier les handicapés venus faire de la figuration, ensuite les techos, puis tout le reste de la salle, en commençant par les plus pauvres…

EMMANUEL S’OUBLIE, VIREVOLTE, ET FINIT PAR DÉCOLLER DU SOL. NOUS ASSISTONS À UNE RENAISSANCE.

 

Soudain, des plaques en verre encerclent la scène, formant un grand aquarium hexagonal dans lequel le candidat fait des tours en ondulant. Il démarre son discours et c’est parti… pour s’ennuyer sec. Il m’est quasi impossible de suivre ce qu’il dit. Si le président Macron est d’une droite ultra-libérale, le personnage qu’il interprète aujourd’hui est de gauche. Voilà l’éborgneur-en-chef jouant au grand sauveur de la plèbe, à coup de slogans zarbis et de promesses sociales qu’on n’attendait plus. La brutalité lisse de cet homme me fout les ch’tons, je la remarque jusque dans la structure osseuse de son visage. Sa maîtrise corporelle est totale. Chaque mouvement est étudié, chaque geste précis, chaque regard assuré… Il aurait brillé s’il avait embrassé la carrière de danseur étoile qui lui était destinée. Entre deux arabesques et trois entrechats – droite, gauche, droite – Emmanuel s’oublie, virevolte sur la scène, et finit par décoller du sol. Il est maintenant en lévitation, à trois mètres de haut, quand une auréole de lumière apparaît autour de son visage d’enfant à rouflaquettes. Nous assistons à une renaissance. « Je vous le promets, je serai désormais de gauche ! » Je le savais…

En fait, personne n’écoute vraiment : les gens sont venus, comme nous, pour le show. Dans les tribunes, je vois d’ailleurs que les macaques se bouchent les oreilles, et j’ai soudain l’impression que Macron passe en mute. Même les journalistes de BFMTV ou de Quotidien discutent entre eux, connaissant déjà la teneur des propos. Un ministre quitte d’ailleurs le meeting en plein discours avec ses deux fillettes – faudrait pas se retrouver dans les bouchons, quand même. Lassés, nous aussi, de nous faire ensorceler par l’homme à l’écran, nous quittons notre poste et retournons au bar. On reprend une bière et un demi-buvard avant de partir en quête de divertissement. On croise alors Grégory Zaoui, le cerveau de l’arnaque CO2, suivi par une caméra. D’un coup, je me retrouve à l’intérieur du documentaire qu’il semble tourner alors que Macron poursuit sur « les énergies fossiles… nous le pouvons, nous le ferons, bla bla bla. » Je ne comprends plus rien.  Il est 17 h 15, Macron est sûrement en train de présenter un spectacle de jonglage avec des épées enflammées, mais je décide de zapper la suite. Après avoir fait un ultime tour de piste, il est temps de rentrer. Fin du bal, ciao, bye, bye.

RETOUR À LA NORMALE

Dehors, le show nous poursuit. Un type nous attend, habillé en rose fluo de la tête aux pieds et coiffé d’une perruque rose afro. Ce farceur, déguisé en pro-Macron, nous explique qu’il a tenté de s’incruster, « histoire de foutre un peu le bordel. » Ce type serait-il l’avatar d’un gamin de 14 ans ayant enfilé un skin pro-Macron rose fluo… Alors que le petit homme rose nous partage sa philosophie (je n’ai pas tout compris), un autre couche-tout-nu s’invite brutalement à la discussion. Un Marocain pro-Macron et handicapé, débarquant avec un déambulateur et des tuyaux dans le nez. J’ai l’impression qu’il a une sorte de jetpack sur le dos, et que tout ce foutu matériel pourrait bien être dangereux. M. Pink le pointe : « Lui, il vote Macron, t’façon, laisse tomber. » Tout escalade alors très vite, « tu m’indexe pas, clochard va ! » L’handicapé arrache la perruque rose de notre ami, et les deux commencent à se foutre sur la gueule. Une sorte de happening grandeur nature… Petit à petit, les corps des deux opposants s’entrelacent, se mélangent, pour ne former plus qu’une seule entité mélencho-macroniste. Une chimère aussi terrifiante que rassurante, mi-dragon mi-brebis, qui sera enfin séparée par les agents de sécurité du lieu. Tout le monde se calme, retour à la normale. 

Nous remontons jusqu’au métro avec M. Rose, toujours sous le choc de la bagarre. Arrivés sur le quai, il nous dit dans un grand sourire : « Je vais aller faire leur fête aux macronistes à l’avant du train ». Nous l’observons, partagés entre la tentation de gober d’autres buvards ou de partir nous installer dans un pays lointain. Peu importe notre décision, une chose est certaine : la descente sera rude.


Par Jean-Baptiste Chiara
Photos Florian Thevenard