Romain Gavras, l’anti-Parrain

Avec son roman polar pop Le Monde est à toi, en salles depuis le 15 août, le réalisateur Romain Gavras offre à Isabelle Adjani son plus beau rôle depuis Mammuth. Interview «fan de».

Tu traites toujours de sujets politisés (les banlieusards ultra-violents de ton clip pour le «Stress» de Justice il y a dix ans ; les passeurs de migrants dans ce fil) sans jamais prendre position. Pourquoi ? 
Romain Gavras : Ce n’est pas par non-envie d’y aller, au contraire. Mais je suis assez fan des comédies italiennes des années 60, 70 – genre Le Pigeon, Affreux, sales et méchants… – où ça parle de trucs pas marrants tout en captant le zeitgeist précis d’une époque. Les réalisateurs italiens utilisent ces thèmes comme des touches de couleurs pour avoir une cartographie de la société – tout en les traitant de façon légère. Là, l’ambition était de faire un film d’aventure qui serait ancré dans le présent, d’où les références à Périscope, aux migrants, aux tenues de foot hyper moulantes… Mais sans mettre de tampon moral dessus.

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C’est le film le plus mainstream que tu te sens capable de faire ?

 
J’aime bien l’idée de faire un film «populaire», qui serait drôle quand tu as envie que ça rigole, tendu quand tu as envie que les gens soient tendus… Et en même temps d’y mettre mes ingrédients à moi, de changer certains codes. Ca m’excite plus que de faire un film radical. En même temps ce n’est pas un film putassier, hein. J’ai pas fait Aladdin non plus !

Le film emprunte son titre au Scarface de de Palma (la phrase «The World is yours», qui revient tout au long du film, devenant ici Le Monde est à toi).
Je ne suis pas spécialement fan du film, mais je trouve qu’il a été mal compris. Tony Montana, c’est quand même un gros tocard beauf. Avec Le Monde est à toi, on est dans l’anti-glorification des voyous. François (le petit trafiquant joué par Karim Leklou, ndlr) a un objectif mou : ouvrir une franchise Mister Freeze au Maghreb. Un rêve très classe moyenne, presque Bayouriste. On a envie d’être aucun des mecs du film, alors que quand tu regardes le Parrain, tu te dis «putain, cette famille est classe !». Nous, c’est l’anti-Parrain !

Et comment en es-tu arrivé à Adjani pour ce rôle de mama voyou ? 
Isabelle, c’était comme une évidence. Si je suis honnête avec moi-même, le premier attrait est le côté «icône» : il fallait que la mère imprime quelque chose de fort. Et en la rencontrant, j’ai découvert qui elle était : sharp, maligne, rigolote, avec un puissant fond de culture qui l’a aidée à construire le personnage. En plus, Isabelle a un truc qui n’est pas juste français. On n’a pas l’impression de voir un film avec des Twingos quand il y a Isabelle ! 

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Elle se fait rare au cinéma.

Oui, raison de plus de l’avoir à l’affiche. Quand un acteur est tout le temps au cinéma, il a des casseroles insupportables, et il les ramène avec lui sur chaque film, forcément. Avec Isabelle, c’est tout le contraire. 

Entretien Laurence Rémila