Peut-on aller voir le film d’Ang Lee en 2D ?

Sans 3D, sans 4K, sans HFR, Un Jour dans la vie de Billy Lynn n’en reste pas moins l’un des plus beaux films d’Ang Lee.

Commençons cette chronique pourtant pleine d’enthousiasme par un triste aveu d’échec : nous n’avons pas vu Un Jour dans la vie de Billy Lynn. D’ailleurs vous non plus, spectateurs français, vous ne verrez sans doute jamais le nouveau film d’Ang Lee, bien que sa sortie n’ait finalement pas été annulée ici après son bide noir US et son rejet par la critique locale. Le 1er février, le film que vous découvrirez dans vos multiplexes n’est absolument pas celui que son auteur avait l’intention de vous foutre devant les yeux.

Pas la peine pour autant de fouiller sur le net à la recherche d’un hypothétique « director’s cut », la mutilation opérée ici ne tient pas à une histoire de montage mais de format de projection. Pas de copies 3D en France et, de fait, pas non plus de copies HFR – une technologie permettant de diffuser un film en augmentant son nombre d’images par seconde, créant une sensation d’hyperréalisme stupéfiante. L’un dans l’autre, ces deux procédés ultra high-tech qu’on croyait réservés aux méga blockbusters (Jackson les a utilisés dans Le Hobbit, ils seront au cœur des suites d’Avatar) devaient offrir à ce film d’échelle très modeste une inclinaison à la fois plus expérimentale, plus défricheuse, plus épique et plus « jamais-vu ». SURTOUT, elles semblaient faire parfaitement corps avec le principe de l’œuvre (un retour au bercail observé sous l’angle de la déconnexion totale) et raccordaient parfaitement avec les ambitions d’Ang Lee, cinéaste qui n’aime rien tant que filmer l’intime de manière spectaculaire (Lust, Caution, Ice Storm, L’Odyssée de Pi) ou le spectaculaire de manière très intime (Hulk, Tigre et dragon ou encore, euh… L’Odyssée de Pi). L’exploit du film ? Même projeté en 2D et en 24 images par seconde, Billy Lynn ne ressemble à rien d’autre qu’à un Ang Lee, cinéaste apatride et observateur sensible de l’American way of life.

On est en 2004, une poignée de troufions yankees envoyés en Irak sont invités pendant leur courte perm’ à venir parader lors d’un méga-match de la NFL. Parmi eux, Billy Lynn, jeune sans-grade aux yeux tristounes, devenu petite fierté ricaine après avoir tenté héroïquement de sauver le chef de sa garnison. Il retombera vite dans l’anonymat, mais aujourd’hui c’est devant lui que le stade se pâme. Raconté uniquement du point de vue de ce bleu-bite qui zappe dans ses souvenirs et ses traumas et mesure l’étendue de sa solitude tandis que la foule l’acclame et que le show pétarade, le film se place sur un territoire de cinéma assez inédit, quelque part entre le premier Rambo, Abattoir 5 et la grande fiction de gauche US. Jamais très loin de la satire lorsqu’il constate que ses militaires déboussolés ne sont rien d’autre qu’un rouage à l’intérieur d’un immense barnum « son et lumière », Billy Lynn explose pourtant la tentation discursive et le didactisme épuisant au profit de la sensation et de la sensibilité. Il glisse continuellement du morceau de bravoure à l’introspection, du murmure à l’emphase, de l’expérimental au mainstream. Un pas de deux typique de son auteur, qui trace ici les contours du rêve américain et de sa fureur toujours enchevêtrée dans la désillusion. Ce film est beau, soufflant, tuant. Dommage qu’on ne l’ait pas vu.

FRANÇOIS GRELET

Un Jour dans la Vie de Billy Lynn, D’Ang Lee

En salles le 1er février