Notre lettre ouverte à Cricri Barbier

Remercié de l’Express, l’éditorialiste à écharpe rouge va devoir songer à sa reconversion. Notre conseiller d’orientation lui file quelques pistes. 

Serge de Libération, Christian des Inrockuptibles… et aujourd’hui, c’est à ton tour, Christophe de L’Express, de faire l’expérience d’un licenciement sec par le nouveau propriétaire de la gazette hebdomadaire dans laquelle tu as vanté année après année, en bon télégraphiste de la pensée dominante, les vertus du libre-échange et de la valeur travail, fustigé l’absurdité des 35 heures, vilipendé l’État-providence, éreinté ces Français tire-au-flanc qui refusent de travailler les jours chômés du mois de mai… liste non-exhaustive.

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Je me permets de te tutoyer, car depuis le face-à-face télévisé Juppé-Fillon, j’ai compris qu’on peut le faire sans paraître exagérément grossier ou sembler imiter la vraie-fausse familiarité des billets du mec qui n’embrasse pas dans Les Inrockuptibles, je retrouve pas son nom, là. Que n’as-tu pris en vain fait et cause pour les riches, sucé le boule des nababs, ciré les Weston des puissants pour qu’aujourd’hui on t’attrape sans vergogne par l’écharpe, te pousse vers la sortie et t’accule au déclassement ? Entre ici, Christophe Barbier, avec tes fiches de paie et ton solde de tout compte ! Joins-toi donc au terrible cortège des évincés, des retoqués, des suppliciés du libéralisme et de la bonne gouvernance d’entreprise dont tu chantais les louanges voici à peine quelques semaines encore. Vois ton reflet en contrechamp dans l’œil glauque des relégués du Pôle Emploi, contemple dans la file d’attente ces gens qu’hier tu étrillais d’importance, avec cette morgue littéraire apprise au lycée du Parc de Lyon puis à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, consolidée par des T.D. de langue de bois managériale à Sup de Co Paris.

Quel tragi-comique et fatal retour de bâton de te voir ainsi remercié, toi qui organisas le départ de 125 salariés de L’Express en septembre 2015. Les mois en « -bre », c’est pas ton karma, mon Chri-Chri. Et pourtant, Christophe… pour avoir souvent côtoyé ces décideurs que tu admires, ne voyais-tu pas qu’un jour peut-être, ils te mettraient toi aussi dans une charrette – pas la charrette du trop-de-boulot, mais celle des dispensables, la charrette des promis à la fosse commune, comme dans cette séquence du Sacré Graal ! des Monty Python : « Bring out your dead, bring out your dead »… et te voilà comme le vieillard qui ne veut pas monter dans ce corbillard à ridelles. Quelle ironie. Quelle pitié. N’as-tu donc jamais saisi l’importance de bien comprendre quelle est la place qu’on occupe dans la chaîne alimentaire ?

LE PINBALL WIZARD DU NÉOLIBÉRALISME

Christophe des abysses, te voilà bien mastiqué puis recraché par les requins dont tu fus le poisson-pilote aveuglément soumis. Enfant des seventies comme moi, ne lisais-tu pas les pages consacrées au règne animal dans Le Journal de Mickey ou le Manuel des Castors Juniors, toi le fidèle boy-scout de la doxa libérale ? Pourtant, Patrick Drahi, je ne sais pas, quand on le voit approcher, on sent un léger courant d’air sur la nuque, non ? Demande aux anciens salariés de la Société française du Radiotéléphone (SFR) : leur RETEX eût pu t’être de bon secours. Mais c’est trop tard, hélas.

Pour ton édification personnelle, sache que Patrick Drahi joue au billard électrique, c’est le Pinball Wizard ultime du néolibéralisme. Je copie-colle ici son motto, cité par tes confrères du journal Les Echos : « Pour moi, les télécoms c’est comme un flipper : tant qu’il y a des boules, je joue encore. » OK tu m’objecteras sans doute que Patrick parlait des télécoms et non de la presse et qu’il ne faut pas tout mélanger. Mais le message est là : pour Drahi, acheter des boîtes c’est un jeu, et toi, pas de bol, tu étais la boule de trop, l’extraballe, et puis c’est ballot comme une bille de flipper de bar-tabac-PMU, Patrick s’est énervé, et TILT. Qu’il me soit ici permis de te dire le mot de Cambronne, pour ton entrée dans ta nouvelle vie de senior en recherche d’emploi, mon cher Christophe… Pas facile de se retrouver sans boulot à 50 ans, j’en sais quelque chose. La middle-life crisis, pas si simple. Ne te banane pas à vélo en te rendant à un stage d’optimisation de CV à Montreuil. Si tu le croises à la cantine du MEDEF, passe mes amitiés à Éric Brunet, qui devra lui aussi songer un jour à préparer sa sortie de l’établissement radiophonique RMC, malgré sa propagande bistrotière de droite. On ne sait jamais quel est le taux d’éjectabilité du fauteuil sur lequel on est assis, en ce bas monde.

FRANCIS QUINZULLA