Et si Macron était (déjà) trop vieux pour devenir président ?

Macron trop junior ? Les plus belles pages de l’histoire de France ont pourtant été écrites par de (très) jeunes gouvernants, nous rappelle notre chroniqueur Frédéric Taddeï. Cours de rattrapage.

Si Emmanuel Macron, qui n’a que 39 ans, devient notre prochain président, il battra le record de Louis-Napoléon Bonaparte, élu en 1848 à l’âge de 40 ans, et celui de John F. Kennedy, entré à la Maison Blanche à 43 ans. Et ce ne sera pas trop tôt. Ceux qui estiment que l’ex-ministre de l’Économie est bien jeune pour exercer de si hautes fonctions ont en effet la mémoire courte. Louis XI dirigeait déjà la France à 38 ans, Henri IV à 35 ans, Napoléon Bonaparte à 30 ans. Vercingétorix avait moins de 30 ans quand il a rassemblé autour de lui les tribus gauloises, Charlemagne seulement 26 ans lorsqu’il est devenu roi des Francs, Louis XIV 22 ans à la mort de Mazarin et François Ier n’avait que 20 ans à la bataille de Marignan. Quant à Louis XIII, Philippe Auguste et Clovis, ils régnaient déjà à 15 ans. En réalité, les plus belles pages de l’histoire de France ont été écrites par des jeunes gens. Mais ne comptez pas sur les profs, les historiens ou les politiques pour vous renseigner sur ce sujet, c’est LE grand tabou de notre époque. Pour une raison simple : l’âge moyen de nos élus est passé de 45 ans en 1982 à 59 ans en 2000. Aujourd’hui, nos députés ont 55 ans en moyenne, nos maires 57 ans, nos sénateurs 62 ans. La population française elle-même est de plus en plus vieille. De 34 ans au milieu des années soixante, l’âge moyen est passé à 41 ans aujourd’hui. La part des plus de 60 ans a grimpé de 16 % dans les années cinquante à presque 25 % de nos jours. Un Français sur quatre ! Et ce sont les seniors qui sont les plus nombreux à voter, ce sont eux qui ont le plus d’argent, eux qui lisent les journaux, eux qui regardent la télévision. Tout ce qui peut s’assimiler à du jeunisme est donc très mal vu. Et n’allez pas croire, comme le prétendent certains, qu’autrefois on était vieux à 40 ans. Quelles sornettes ! Le fait qu’en 1740 l’espérance de vie à la naissance stagnait à 24 ans, au lieu de 80 aujourd’hui, ne signifie pas que l’on mourait de vieillesse à 24 ans, mais que la mortalité infantile était considérable. Voltaire avait 46 ans en 1740 et se portait comme un charme. La preuve, il est mort à 83 ans.

C’est avec l’instauration du suffrage universel, sous la Troisième République, que les considérations sur l’âge ont pris l’importance qu’on leur connaît aujourd’hui. Mais ça aussi, c’est un tabou. Loin d’être révolutionnaire, le suffrage universel est plutôt conservateur. On a donc assimilé la jeunesse à l’inexpérience, au chaos, et le pouvoir s’est retrouvé confisqué par des bourgeois rassurants, avec de gros ventres et des cheveux blancs. On a vu le résultat. Entre 1914 et 1918, ces antiquités n’ont pas hésité à envoyer toute une jeunesse à la mort. Rebelote en 39-40 : 100 000 morts en trois semaines parmi les soldats français, victimes de l’incompétence et de la bêtise des vieilles ganaches de l’état-major et de leurs ministres de tutelle, tous en retard d’une guerre. Le seul qui a sauvé l’honneur, c’est, comme par hasard, le benjamin du gouvernement, le sous-secrétaire d’État à la Guerre, un certain Charles de Gaulle. Mais on attendra qu’il ait 67 ans, en 1958, pour lui donner vraiment les clefs de la boutique. Une habitude, en démocratie.

« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », déclare Rodrigue dans Le Cid, une pièce que Corneille a écrite à l’âge de 30 ans. Et il s’est dépêché d’en donner la preuve, ce cher Corneille : tout ce qu’il a écrit après 40 ans a sombré dans l’oubli. Encore un tabou, qu’aucun ministre de la Culture ne reconnaîtra jamais : la plupart des chefs-d’œuvre, en littérature, en musique, en peinture, ont été réalisés par des artistes de moins de 40 ans. Pas besoin de vous faire la liste, il suffit de regarder leur fiche Wikipédia et de faire le calcul. Mais on préfère nier l’évidence. Renaud qui reçoit la Victoire de l’artiste masculin de l’année à 64 ans, par exemple, c’est insulter le réel. Vous imaginez Maurice Chevalier élu chanteur de l’année à 64 ans en 1952, au moment où Bill Haley cassait la baraque avec Rock the Joint ? Ou Tino Rossi en 1972, l’année du San Francisco de Maxime Le Forestier ? Non ? Et pourtant, c’est dans cette France-là que vous vivez. Un pays qui trouve que 39 ans c’est jeune pour devenir président, et que 64 ans c’est l’âge idéal pour un chanteur, n’est pas seulement un pays vieillissant, c’est un pays qui marche sur la tête…

Social Club, du lundi au jeudi à 21h sur Europe 1

FRÉDÉRIC TADDEÏ

Technikart #211 avril 2017