Alexandre Astier : « Personne ne m’a empêché d’adapter Kaamelott au cinéma ! »

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Le graal du roi Alexandre Astier  ?Transformer Kaamelott, sa shortcom M6, en trilogie ciné qui en impose. Après un long imbroglio juridique pour récupérer les droits de son bébé, la sortie de la Partie 1 est désormais au programme. Mais peut-on vraiment mixer comédie popu et heroic-fantasy dans un long métrage ? En 2016, l’homme de l’exoconférence y croyait déjà !

Vous êtes enfin venu à bout des blocages juridiques…

Alexandre Astier (nous coupe) : Il n’y avait pas de blocage juridique, au départ. Personne ne m’a empêché d’adapter Kaamelott au cinéma, c’est moi qui ne voulais pas. C’est un luxe que je me suis payé. J’ai voulu changer les règles du jeu et me payer le confort de faire le film un peu plus artisanalement. C’est compliqué avec un film très attendu comme Kaamelott. C’est un film très difficile à monter. D’abord, j’en avais rien à foutre dans la partie juridique, je n’ai pas ces compétences-là. Ensuite, il y a la question de l’argent, de la position que tu prends avec l’industrie…

C’est à dire ? Qu’il puisse être produit pour un budget raisonnable ?
C’est sûr, il ne faut pas qu’il soit trop cher. Mais c’est compliqué de faire Kaamelott pour pas trop cher au cinéma. Un film doit coûter ce qu’il doit coûter, mais il faut surtout que l’argent dépensé soit visible à l’écran. Sachant que pour ce film, les CGI (les effets spéciaux numériques, NDLR) comptent beaucoup. Et que la vitesse à laquelle avancent les technologies fait que certaines choses – dans le mapping, les décors – sont possibles aujourd’hui pour un dixième du prix d’il y a quelques années.

Les comédies à grand spectacle, c’est un genre qui n’existe plus vraiment dans le cinéma français …
Oui, on a eu peu de comédies d’aventures ou de comédies épiques. Peut-être La Grande Vadrouille, qui présente très bien le Troisième Reich, l’Occupation. Y’a des tanks, l’armée, la kommandantur, ça ne fait pas carton-pâte. Ce qui compte, ce n’est pas que le film coûte cher, mais qu’il soit crédible. Pour qu’une comédie fonctionne, il faut que les personnages soient trop petits ou trop faibles vis à vis de l’énorme truc auquel ils s’attaquent. Dans Kaamelott, tous les mecs cherchent le graal alors qu’ils n’arrivent même pas à trouver leurs pompes ; s’ils n’ont pas affaire à un environnement hyper crédible, tout tombe à plat… Or, l’environnement coûte un peu de sous. Donc, à moins d’avoir un budget qu’on ne remboursera jamais et d’enculer tout le monde – ce qui n’est pas le but du jeu –, il vaut mieux être malin pour que le film soit hyper-classe.

Vous avez peur du temps qui s’est écoulé entre le dernier épisode télé de la série et sa sortie au ciné ?
Pas trop. Les fans de la série qui viennent se prendre en photo avec moi n’ont pas forcément vu Kaamelott au moment de sa première diffusion. Avec les rediffusions, le temps a fait venir une autre génération… Mais je ne travaille pas au marketing, je suis absolument incapable de savoir qui sera dans les files d’attente, combien ils seront. Je sais qu’il y aura des mecs déguisés en Arthur avec des épées, mais ceux-là sont toujours là.

Comment expliquez-vous que votre série n’ait jamais essaimé dans le paysage audiovisuel ? Depuis son arrêt, les vignettes sitcom de l’après 20h ont repris tranquillement leurs droits …
Déjà, la période « courte » de Kaamelott, ça a été fait par un mec qui n’aimait pas le format court. J’ai respecté le cahier des charges qui m’avait été donné, mais je détestais le format court avant de le faire, pendant et après. Je n’ai pas envie de couper mes trucs en cent morceaux, ça me gonfle. Je l’ai fait et j’ai prié la chaîne de faire du chronologique dès que j’ai pu, puis du long format. Après, j’ai assisté à des réunions où l’on disait que le format court était la spécificité française. Euh, vraiment ? Ce serait une catastrophe si c’était le cas ! On ne serait bons que dans des trucs découpés, où on balance une connerie en trois minutes, vraiment ? Quel aveu d’échec !

Du coup, dans les dernières saisons de Kaamelott, vous n’hésitiez plus à écrire des épisodes beaucoup plus mélancoliques, quitte à paumer tout le monde.
Je n’ai pas respecté le cahier des charges, Kaamelott est devenu triste alors que ça ne devait pas. Je me suis même payé le luxe d’avoir une descente du nombre de téléspectateurs alors que tout le monde cherche la montée.

En gros, quand ça c’est fini, M6 était bien content de se séparer de vous ?
Ah non ! Mais par contre Scènes de Ménage a cartonné.

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C’est un peu comme si personne n’avait rien retenu de vos expérimentations …
Mais, moi, j’en suis content ! Il y a un truc qu’ils n’ont pas compris, ces mecs-là. On est au pays de Molière : seul l’acteur compte. Molière écrivait pour des mecs qui étaient à côté de lui tout le temps : « Qu’est-ce que je vais lui faire faire à celui là ? » Sur la langue et les comédiens, on est en retard sur personne. On a des acteurs incroyables et une langue magnifique à dialoguer : il faut les mettre à l’écran, c’est tout. Des acteurs et la langue. Eux veulent des « sujets », des « concepts », des histoires avec des familles recomposées… Si on leur demande d’analyser le succès de Kaamelott, ils diront 200 000 conneries sauf ça, qui est le cœur du truc : les comédiens et le texte… La recette n’est pas compliquée en fait. Mais personne ne veut l’apprendre, personne ne veut y aller. Ils ne veulent toujours pas baser une production d’abord sur le comédien.

Pour Kaamelott le film, vous aurez recours à des noms « bankable »?
Dans la série, y’a quand même eu Clavier, Chabat…

Ce sont des caméos.
Ah non, ils ont un vrai rôle. Clavier est jurisconsulte sur plusieurs épisodes, il ne vient pas faire un clin d’oeil. Pour Kaamelott le film, je vois des gens en ce moment : « J’aimerais bien que tu fasses ça, et je voudrais que tu me dises oui par principe. Après, quand tu vas le lire, peut-être que tu ne viendras pas. » Pour écrire, j’ai besoin d’avoir le comédien en tête. Encore une fois, c’est le comédien d’abord. Ça fait partie du processus de création, avoir envie d’écrire pour untel, et ça m’étonnerait que ça tombe par hasard sur les mecs qui ramènent des places en ce moment. En plus, je ne sais même pas qui ils sont.

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Et vous, vous êtes sollicité pour ramener du strapontin chez d’autres réalisateurs ?
Oui, mais j’ai dit que je ne jouais plus chez les autres. Ça se confirme.

Vous avez vu de bonnes comédies ces derniers temps ?
Je ne vais pas souvent au cinéma, et quand j’y vais, je vois surtout des trucs pas français.

Vous êtes confiant ou méfiant ?
Ce que je crains énormément, c’est qu’on se retrouve avec des affiches ou une bande-annonce pour expliquer que le film est drôle. Il faut que le film soit vendu pour ce qu’il est. C’est facile de faire des raccourcis avec Kaamelott, c’est facile de faire des trucs trop vite. Donc il faut des complices, des gens qui comprennent. Mais ça se trouve, hein.

FRANÇOIS GRELET & LAURENCE RÉMILA